- Types d'acteurs : Proche
- Type d'acte : Aide à la vie journalière
- Thème(s) : Accès à l'espace public, Manière de voir et de vivre avec la personne
- Concept(s) : Agentivité, Disposition genrée, Souci de soi et d'autrui
- Lieu d'observation: Domicile
- Région d'observation: Bruxelles
- Pseudo: Mr Keita
- Date d'observation: undefined
- Numéro de page du livre : undefined
- Auteur du récit : Natalie Rigaux
A l'entendre parler de son mari en entretien, Mme Keita manifeste un respect pour son itinéraire de formation (physicien, professeur d'université en Guinée) et de vie (son engagement auprès de la communauté peule, la façon dont il a veillé à ce que sa famille ne soit pas sans cesse envahie par ses compatriotes, le harcèlement moral subi). C'est aussi à l'entendre s'adresser à lui, lors du dîner au centre de jour ou à l'occasion des trois entretiens menés chez eux que je suis sensible au respect avec lequel elle s'adresse à lui : le ton est juste, adulte comme il se doit, elle se soucie de ses préférences (lui demandant s'il préfère que l'entretien le concernant se fasse ou non avec elle), elle le prend en compte, comme par exemple lorsqu'en fin d'entretien je vais saluer son mari et qu'à cette occasion elle lui dit :
« Je te raconterai tout de suite ce qu'on a dit ». Lui : « Bien sûr, bien sûr. »
Elle se soucie aussi du respect que les autres manifestent à son mari. Elle m'explique ainsi :
« On a changé de cardiologue. Ceux de X, ils ne disent rien. Maintenant, le cardiologue de Y, il explique beaucoup plus, il parle beaucoup mieux à mon mari. C'est un peu plus cher mais c'est mieux. Souvent, le corps médical ne prend pas en compte les personnes. »
Ceci ne l'empêche pas d'éprouver des regrets relatifs à ses capacités passées. Deux choses ressortent en effet comme encore difficiles à accepter :
« Ce qui me gêne beaucoup, c'est qu'avant, il intervenait sur les sujets politiques, de société. Maintenant, il ne sait plus tenir une conversation. (…) Le plus gênant, c'est de le voir tout le temps assis, ne faisant rien. »
De différentes façons apparait aussi le souci de Mme Keita pour l'agentivité de son mari. Contrairement à Mr Paquot (4ème chapitre) par exemple mais comme Mme Van Bol (3ème chapitre), Mme Keita sait laisser son mari seul, par exemple systématiquement tous les mercredis matin où elle a une réunion d'équipe au centre d'accueil où elle est bénévole, où après ses deux journées au centre de jours dans la mesure où il rentre plus tôt qu'elle. Avec l'aide du taxi, il rentre alors chez lui sans que la porte ne soit refermée à clé derrière lui, comme c'est le cas d'ordinaire (on y revient) :
« On a trouvé un bon système, avec sa clé autour du cou. Comme il est fatigué après la journée au centre, il ne risque pas de vouloir ressortir. »
Le problème s'il le faisait, c'est que Mr Keita se perd lorsqu'il est hors de chez lui. C'est déjà arrivé (entre autre après un retour du centre de jour où le chauffeur n'avait pas été attentif à lui indiquer où était sa maison et à l'aider à y entrer) et il n'a été retrouvé errant que tard dans la soirée. Mme Keita accepte là un risque raisonnable qui permet à chacun de garder une certaine autonomie : elle en finissant sa journée de bénévolat, lui en restant chez lui seul.
En dehors de ces deux moments, la porte est toujours fermée à clé quand Mr Keita est chez lui, sans qu'il ne puisse lui-même la rouvrir :
« Ce n'est pas idéal, c'est un peu moche, mais on n'a pas trouvé d'autres solutions pour éviter qu'il sorte et il ne rouspète pas d'être enfermé. »
Autre moment d'un entretien où l'on sent Mme Keita sensible à la violence faite à son mari, c'est à propos de l'entrée en centre de soins de jour :
« Au départ, il ne voulait pas. On a dit « c'est ça, ou la MR ! ». On a été un peu violent, mes enfants et moi. C'était pas possible qu'il reste tout le temps ici. Catherine [l'infirmière du centre] m'a dit qu'il était beaucoup mieux depuis qu'il venait deux jours par semaine. Mes enfants aussi le disent. Moi je ne sais pas dire, je le vois tout le temps. »
Dans l'un et l'autre cas, Mme Keita n'élabore pas longuement à propos de ces questions – ce n'est pas son style – mais elle les pointe, ce qui témoigne de sa sensibilité aux enjeux éthiques sous-jacents à la contrainte et l'enfermement qui entravent l'agentivité de son époux. Notons aussi qu'elle ne referme pas trop vite la question de savoir si la décision qu'elle a contribué à lui imposer – les deux jours en centre de jour – lui fait ou non du bien (là où souvent, dans des situations analogues, chacun va avoir tendance à considérer que la contrainte imposée était « pour son bien »).