13. Une logopède luttant contre l’isolement de la personne malade   (Chapitre 8)  Imprimer
Résumé
Sans doute parce que la prise en charge logopédique avec les personnes démentes n'est pas reconnue par l'INAMI, le travail de la logopède de Mme Donckers est un des seuls à avoir fait partie de mon enquête, à l'exception de lui de Julie à Ste Monique (cf 8.6.), avec lequel il est intéressant de le comparer.
Description
  • Types d'acteurs : Logopède
  • Type d'acte : Activité
  • Thème(s) : Communication
  • Concept(s) : Expérience, Figures du respect
  • Lieu d'observation: Domicile
  • Région d'observation: Bruxelles
  • Pseudo: Mme Donckers
  • Date d'observation: décembre 2011; janvier et décembre 2013
  • Numéro de page du livre : pp.199-200
  • Auteur du récit : Natalie Rigaux
Contexte
Je rencontre Mme Donckers dans un centre de jours d'un CPAS à Bruxelles. C'est une institutrice pensionnée (elle a fait toute sa carrière dans l'enseignement spécial) qui vit avec son mari à leur domicile (une maison d'une belle banlieue de la ville). Ils ont deux fils (dont l'un habite à 2h de Bruxelles). Mme est née en 1940, son mari en 1941. Elle n'avait aucun problème de santé jusqu'en 2008, où elle va faire des crises d'épilepsie, suite auxquelles elle est hospitalisée pendant 2 mois, d'abord dans un hôpital universitaire, ensuite dans un centre de revalidation neurologique qui estimera que rien ne peut être fait pour elle. Aucun diagnostic clair ne sera posé (dans le dossier du centre je lirai : « détérioration cognitive massive fronto-temporale »). Suite à cet épisode, Mme Donckers est restée aphasique (il peut lui arriver de parler dans des circonstances particulières, par exemple avec ses fils au téléphone mais est mutique la plupart du temps, parfois elle laisse échapper un début de phrase très vite interrompu, ou une exclamation à moins qu'elle ne jargonne à mi-voix) et présente une série d'autres troubles. En 2008, après le temps d'hospitalisation, Mr Donckers a très vite trouvé un centre de jour, d'abord pour une journée par semaine, puis assez rapidement pour trois jours semaine. Un jour par semaine, Mr et Mme Donckers passent la journée chez la sœur de Mme. Une fois tous les 15 jours, Mme Donckers a rendez-vous chez une logopède pour une séance de 30 minutes. Une fois par mois, une garde vient s'occuper de Mme pour une journée du WE. Deux fois par an, la même garde vient passer 3 à 5 jours pour permettre à Mr de partir en vacances. Celui-ci a renoncé aux passages d'infirmières pour faire la toilette de son épouse quand il a constaté l'irrégularité de leurs horaires.
Contexte Méthodologique
J'ai rencontré Mme Donckers pendant les deux fois une semaine que j'ai passées au centre de jour qu'elle fréquente (en décembre 2011, puis en janviers 2013). J'ai rencontré son mari une fois seul (février 2012), puis une fois en compagnie de son épouse (novembre 12). Lorsque je reprends contact en novembre 13, Mr Donckers vient d'apprendre que le centre de jour a décidé d'arrêter l'accueil de son épouse (ce que j'ignorais en l'appelant) et Mr semble alors prêt à institutionnaliser celle-ci. Il ne souhaitera plus poursuivre sa participation à ma recherche. A ma demande, j'ai revu Mme Donckers deux jours durant le dernier mois qu'elle passe au centre.
Vignette

Mme Donckers a été envoyée chez la logopède par le neurologue suite à ses crises d'épilepsie. Elle sera suivie de 2008 à novembre 2012. Comme Mr Donckers m'en a dit le plus grand bien (cf récit « Les difficultés de communiquer avec le proche ») je demande à pouvoir la rencontrer (ce sera fait en septembre 2012, pendant 30 minutes entre deux séances et jamais avec Mme Donckers).

Je trouverai un rapport (qu'elle a adressé au centre de jours dans le dossier de Mme Donckers portant sur une période antérieure à celle de notre rencontre, allant d'octobre 2010 à mai 2011) et dont certains passages résument sans doute bien son approche:

« Les séances avaient pour objectif d'améliorer l'entrée en communication, notamment sur le versant non-verbal. (…) Il est important de considérer Mme Donckers comme une personne sensée. (…) La salle snoezelen a permis à Mme Donckers de se détendre et d'effectuer un travail introspectif. Elle apprécie qu'une personne l'écoute et prenne soin d'elle. (…) Les activités développant les 5 sens (devinette d'objet sur base du toucher, découvertes d'odeurs, de bruits) restent difficilement réalisables. Des promenades au parc ont permis d'évoquer des noms de plantes et d'animaux ainsi que de stimuler le langage spontané. La lecture de livres et de magazines a encouragé l'association lecture et représentations mentales. »

Concernant l'ouverture de la logopède à la communication non-verbale, elle m'explique dans l'entretien que j'ai avec elle :

« Il s'agit de trouver les canaux les plus efficaces, pour éviter l'isolement pour la personne et son entourage. »

Elle me parle lors de notre rencontre d'un travail qu'elle a fait avec Mme Donckers en se déplaçant au domicile, une heure avant l'heure de mettre la table pour mettre au point une carnet (avec photos) de nature à l'aider à réaliser cette tâche. Vu l'attachement de Mme Donckers aux tâches domestiques, l'idée semble bien intéressante. En en reparlant avec son mari, celui-ci ne semblait pas se souvenir de ce travail ni d'avoir pu s'appuyer sur celui-ci dans la vie quotidienne.

Quand je la rencontre, elle est en train de mettre progressivement fin au suivi de sa patiente, considérant que le travail qu'elle peut faire n'est plus « utile » [1]. Tout en disant considérer que « beaucoup de choses passent au niveau de la relation ». La fin de l'accompagnement n'est-il pas dès lors cruel, même s'il est annoncé et progressivement mis en place ?



[1] Comme elle me dit avoir abandonné depuis longtemps l'idée d'une « récupération » et qu'elle parle des séances comme de « 30 minutes de communication », je ne vois pas pourquoi l'avancement dans la maladie rendrait cette communication inutile. Peut-être ne voit-elle plus comment rejoindre Mme Donckers ? ou la place prise par la stimulation qui suppose des capacités restantes est plus importante qu'elle n'a voulu le dire dans son dispositif thérapeutique ?