- Types d'acteurs : Proche
- Type d'acte : Soins intégrés
- Thème(s) : Indépendance, Manière de voir et de vivre avec la personne
- Concept(s) : Agentivité, Disposition genrée, Division genrée du travail de care
- Lieu d'observation: Domicile
- Région d'observation: Bruxelles
- Pseudo: Mme Donckers
- Date d'observation: décembre 2011; janvier et décembre 2013
- Numéro de page du livre : pp.75-76
- Auteur du récit : Natalie Rigaux
Lorsque pour terminer l'entretien, je demande lors de notre première rencontre à Mr s'il lui semble d'une certaine manière normal d'assurer cette aide, il me répond :
« Au début c'était dur pour moi parce que je suis très indépendant de nature disons, de caractère, et ça été difficile. C'est vraiment contraint et forcé entre guillemets je me suis dit bon ben, il n'y a pas d'autres solutions. C'est venu petit à petit mais moi aussi j'ai dû m'adapter comme tout a été si brutal. Finalement il faut le temps de réaliser d'abord et puis de prendre les mesures qui s'imposent petit à petit. Maintenant je crois avoir trouvé un certain modus vivendi. »
C'est lorsque je ferme mon enregistreur, après l'avoir remercié, que je le sens qui se laisse aller à l'émotion, avec des temps de silence, la tête qui dodeline. À un moment, je me demande même s'il n'a pas les larmes aux yeux. Il me parle de leur quotidien puis revient sur ceci :
« Une chose difficile pour moi, c'est l'habillement. Qu'est-ce qu'elle va mettre ? Elle n'a aucune idée. C'est moi qui doit choisir et l'aider à s'habiller. » Moi : « elle ne peut pas le faire toute seule ? » Lui : « ça prendrait un temps fou. Et je ne sais pas si elle y arriverait. Elle oublierait un vêtement ou mettrait la chemise au-dessus du pull. Heureusement, la filleule d'une nièce vient avec nous deux fois par an pour choisir de nouveaux vêtements. Elle aime ça, elle a bon goût, j'accompagne juste pour payer.
J'ai dû apprendre à utiliser une machine à laver – je n'avais jamais fait de lessives. Et aussi à cuisiner. Je n'étais vraiment pas très fort. »
Il revient dans le second entretien sur le caractère difficile pour lui de ces tâches ménagères :
« C'est quand même fatigant, dur, stressant, de devoir tout prévoir, côté ménager. De tout prévoir. Même pour l'habiller ! »
Mr Donckers est sans doute l'homme rencontré au cours de cette enquête le plus mis à mal par la découverte des tâches ménagères mais plus largement, du care vis-à-vis d'autrui. Sur le versant concret, l'habillage ; au plan des valeurs, se présenter comme « indépendant », valeur antinomique au care précisément. Notons que pour compliquer les choses, il n'a pas de fille pour l'aider (contrairement à Mr Cardinael), mais deux fils, qui téléphonent, mangent parfois avec leur père ou invitent le couple chez eux mais n'apportent aucune aide au care[1]. Mr Donckers – comme la plupart des hommes de mon échantillon – a de faibles dispositions au care. Ce qui l'en distingue, c'est que découvrir ses exigences à l'occasion de la maladie de sa femme n'est pour lui qu'un stress, un poids. A l'inverse, Mr Cardinael va trouver une certaine fierté à parvenir à « gérer » la dimension ménagère du soin, tout en ayant des standards de qualité assez faibles (devrais-je dire masculin ?), par rapport à l'alimentation ou à la tenue.
[1] On a vu au contraire que l'un en instance de divorce peine son père et j'apprendrai que les deux frères ont longtemps été brouillés, la maladie de leur mère les ayant un peu rapproché néanmoins.