Mr Donckers est très soucieux d'entretenir les liens familiaux et amicaux et il y arrive avec succès, ce que j'ai rarement observé dans mon enquête lorsque des troubles cognitifs surviennent. Sans endosser le rôle d'aidant (comme on a pu le voir parfois, cf chapitre 7), ces amis et ces proches occupent donc néanmoins une place à part dans mon enquête et sont très importants pour Mr et Mme Donckers.
Je rencontre Mme Donckers dans un centre de jours d'un CPAS à Bruxelles. C'est une institutrice pensionnée (elle a fait toute sa carrière dans l'enseignement spécial) qui vit avec son mari à leur domicile (une maison d'une belle banlieue de la ville). Ils ont deux fils (dont l'un habite à 2h de Bruxelles). Mme est née en 1940, son mari en 1941. Elle n'avait aucun problème de santé jusqu'en 2008, où elle va faire des crises d'épilepsie, suite auxquelles elle est hospitalisée pendant 2 mois, d'abord dans un hôpital universitaire, ensuite dans un centre de revalidation neurologique qui estimera que rien ne peut être fait pour elle. Aucun diagnostic clair ne sera posé (dans le dossier du centre je lirai : « détérioration cognitive massive fronto-temporale »). Suite à cet épisode, Mme Donckers est restée aphasique (il peut lui arriver de parler dans des circonstances particulières, par exemple avec ses fils au téléphone mais est mutique la plupart du temps, parfois elle laisse échapper un début de phrase très vite interrompu, ou une exclamation à moins qu'elle ne jargonne à mi-voix) et présente une série d'autres troubles.
En 2008, après le temps d'hospitalisation, Mr Donckers a très vite trouvé un centre de jour, d'abord pour une journée par semaine, puis assez rapidement pour trois jours semaine. Un jour par semaine, Mr et Mme Donckers passent la journée chez la sœur de Mme. Une fois tous les 15 jours, Mme Donckers a rendez-vous chez une logopède pour une séance de 30 minutes. Une fois par mois, une garde vient s'occuper de Mme pour une journée du WE. Deux fois par an, la même garde vient passer 3 à 5 jours pour permettre à Mr de partir en vacances. Celui-ci a renoncé aux passages d'infirmières pour faire la toilette de son épouse quand il a constaté l'irrégularité de leurs horaires.
J'ai rencontré Mme Donckers pendant les deux fois une semaine que j'ai passées au centre de jour qu'elle fréquente (en décembre 2011, puis en janviers 2013). J'ai rencontré son mari une fois seul (février 2012), puis une fois en compagnie de son épouse (novembre 12). Lorsque je reprends contact en novembre 13, Mr Donckers vient d'apprendre que le centre de jour a décidé d'arrêter l'accueil de son épouse (ce que j'ignorais en l'appelant) et Mr semble alors prêt à institutionnaliser celle-ci. Il ne souhaitera plus poursuivre sa participation à ma recherche. A ma demande, j'ai revu Mme Donckers deux jours durant le dernier mois qu'elle passe au centre.
De façon tout à fait remarquable
parce qu'exceptionnelle, Mr Donckers me dit être très entourés par leurs amis
et leur famille respective, qui continuent à inviter le couple très
régulièrement. Il me dit par exemple:
« Dans des cas comme ceux-ci, de vrais
amis, ça compte. Pendant toute la vie, nous avons entretenus nos amis. Je ne
sais plus les recevoir. Mais eux nous invitent beaucoup et c'est une vie
sociale à laquelle je tiens beaucoup. »
Le hasard fait que le premier
entretien a lieu le jour d'anniversaire de 70 ans de Mr. Le téléphone sonne si
souvent qu'il finit par me dire en riant qu'il rappellera plus tard chacun des
amis qui l'appelle. Et quand il me fait l'agenda des festivités amicales et
familiales prévues à cette occasion, je peux sentir que, contrairement à la
plupart des couples rencontrés, la maladie n'a pas coupé les Donckers de leur
réseau relationnel.
Que trouve son épouse dans ces liens maintenus ?
En ce qui concerne les liens familiaux en tout cas, elle y semble très
sensible. A propos de la journée passée
chaque semaine chez la sœur de son épouse, Mr Donckers me raconte:
Ça se
passe très bien, on s'entend très bien et elle est enjouée ! Elle se rend
compte, quand je lui dis, « on va chez Marie-Thérèse », elle me dit
« Ah oui ». Elle réalise très bien et quand on y est, on voit
vraiment qu'elle reconnait. »
Mr va aussi chercher deux de ses petits-enfants un
jour par semaine à 16h :
« Comme
ça, on garde le contact et puis je crois que ma femme apprécie beaucoup.
Vis-à-vis de ses petits-enfants, on dirait que ça se perd un peu dans sa
mémoire, parce qu'elle est moins touchée que quand elle voit ses propres
enfants. »
Les repas avec les amis semblent moins évidents pour
Mme : « elle a des velléités de
partir » mais « c'est
gérable ».