- Types d'acteurs : Proche
- Type d'acte : Soins intégrés
- Thème(s) : Institutionnalisation, Limites du domicile
- Concept(s) : Agentivité, Division genrée du travail de care, Expérience, Souci de soi et d'autrui
- Lieu d'observation: Maison de repos
- Région d'observation: Bruxelles
- Pseudo: Mr et Mme Vandaele
- Date d'observation: 2011/2012
- Numéro de page du livre : undefined
- Auteur du récit : Natalie Rigaux
Sortir avec Mr Vandaele est devenu difficile vu les altercations avec les passants. Sortir sans lui n'est plus possible vu qu'il faut veiller à ce qu'il ne sorte pas seul. Or, Mme Vandaele a beaucoup d'activités en dehors de chez elle, à la fois militantes (entre autre avec Similes, une association de proches de patients psychiatriques) et de loisirs. Elle m'explique :
Après ça [la succession d'incidents avec des passants], je me suis dit bon d'accord, je ne peux plus le laisser seul. A partir de ce moment-là ça a commencé à être très lourd pour moi parce que j'ai dû chercher des gardes, chercher des gardes ça ce n'est pas un problème, le problème c'est que je ne pouvais pas (…) en avoir souvent et que donc moi j'étais coincée : je ne peux plus aller à aucune réunion le soir, je ne peux plus … Enfin, la première chose que j'ai sauvé c'est mon yoga du matin, et donc j'ai eu les gardes une fois par semaine, le matin, la matinée où j'avais yoga. Et quand je demandais en plus, pas moyen (…) Il n'y a pas longtemps, le psychiatre a fait téléphoner l'assistante sociale de là où il travaille (…) et du coup, du coup, j'ai eu une matinée supplémentaire, maintenant j'ai mes lundis matin et mes mardis matin. Et ça c'est tout, tout, tout récent. (…) Le problème c'est certaines réunions le soir et bon, voilà, ce n'est pas du tout évident d'avoir les gardes, ce n'est pas qu'elles ne veulent pas venir le soir, mais bon, elles étaient trop peu nombreuses et alors elles privilégient, enfin, je ne sais pas comment elles font leur choix de qui a priorité. (…)
Et donc voilà, je vis très bien quand j'ai des aides mais quand je n'ai pas d'aide, alors là, c'est lourd. Ce qui est lourd ce n'est pas d'être ici seule avec lui, c'est de ne pas pouvoir m'absenter seule quelque part. Ça c'est vraiment très lourd et heureusement que maintenant il y a quand même deux matinées, donc c'est déjà ça.
Mme Vandaele n'a pas pensé d'emblée à l'institutionnalisation :
Je suis une ancienne infirmière, j'ai fait du domicile, moi j'ai toujours prôné le domicile, enfin moi je ne disais rien mais je le pensais. (…) Donc moi, je voulais garder mon mari à la maison. Ça c'était une évidence. Et mes enfants ont dit "m'enfin Maman, maintenant ça va mais c'est le genre de trucs qui ne va pas s'améliorer", et ça c'est vrai, le docteur me l'avait dit. (…)"Si toi tu veux encore avoir une vie, il faudrait quand même que tu le places ! Finalement je me suis laissé persuader et donc dans le courant de février 2011 on l'a inscrit. C'est ma fille qui a recherché plusieurs endroits, des homes normaux où on accepte des personnes qui ont de la démence où il est inscrit mais il n'y a pas de place évidemment, il faut attendre.
Dès notre première rencontre, Mme Vandaele m'explique les recherches d'une institution entreprises et la manière dont elle en a parlé à son mari :
Moi : « Et lui, comment est-ce qu'il réagit à tous ces préparatifs [d'institutionnalisation]? » Mme : « Il me demande très régulièrement "est-ce que tu vas continuer à vivre avec moi?". Je lui dis "mais tu sais très bien que tu es inscrit en maisons de repos". Et je ne lui ai jamais parlé des maisons de soins psychiatriques. Je lui ai dit des endroits "un peu comme X [le dernier endroit où Mr a été hospitalisé pour 2 mois ]". Et comme là, (…) ça s'est bien passé… Mes enfants sont allés le voir, ma fille est allée le voir, mes petits-enfants et donc il reste sur cette impression positive de X. Alors je lui dis "Ecoute, là-bas ça a très bien été, donc là où tu iras, ça ira très bien aussi, on se verra beaucoup", etc... Donc quand il me pose la question "est-ce que tu vas continuer à vivre avec moi ?". Je lui dis "écoute, moi j'ai besoin d'espace, j'ai besoin de pouvoir être seule, j'ai besoin de respirer un peu plus parce que tu m'étouffes un peu". Donc tout ça je lui dis, j'ai toujours été très claire avec lui pour tout ce que je disais, enfin, j'ai toujours trouvé qu'il ne fallait pas jouer à cache-cache, qu'il fallait tout dire et tout, tout…voilà...donc, (…) Ici, je lui dis aussi, quoi. Et il dit, "bon", il ne dit rien, il ne dit rien, il dit…enfin, il ne dit rien, il dit… Honnêtement, je pense qu'il aimerait autant ne pas aller du tout! ...Et rester ici tout le temps, ça c'est clair, mais il ne dit rien, il ne dit rien, ...Il accepte ça comme si, ben, je ne sais pas, comme si ...ben oui, voilà... »
Dans l'entretien qui suit l'institutionnalisation de son mari, Mme Vandaele revient sur les explications qu'elle lui en a données :
Je lui avais expliqué que c'était beaucoup trop dur, ses réactions à l'extérieur. Qu'à la maison par contre, ça allait. Je lui racontais pourquoi c'était si difficile pour moi. (…) Parce que j'avais appris à lui dire ce qui n'allait pas, avec les gens de l'extérieur. Ça, je mettais en pratique depuis longtemps. Il savait qu'il y avait des choses qui me dérangeaient, ce que les gens me rapportaient, ce qui était inacceptable. (…) Je lui disais ce à quoi je devais renoncer. Il savait que ma vie n'était pas satisfaisante. Je lui disais dans le calme. J'essayais d'appliquer la communication non-violente. Avant le diagnostic de démence, on était toujours en adaptation, lui et moi, pour que notre vie reste bonne. »
Le récit que Mme Vandaele me fait de l'entrée en institution, puis de l'expérience qu'y fait son mari complète le récit des modalité&s de son entrée en maison de repos. Alors qu'elle cherche depuis un an sans succès une institution qui accepte d'accueillir son mari, les choses se précipitent tout à coup lorsqu'une MR(S) qu'elle a visitée à Bruxelles lui annonce un vendredi que son mari peut rentrer le lundi qui suit. Elle ne lui avait pas fait visiter les maisons pour lesquelles il était sur une liste d'attente :
Le frère de mon mari [qui avait proposé de les conduire le lundi matin] a proposé quand même d'aller voir la MR avec lui le samedi. Comme c'est une ancienne maison de religieuses, il y a une messe le samedi ouverte aux personnes extérieures. On y est allé ensemble – même s'il ne va pas souvent à la messe et que ça faisait plusieurs années qu'il n'y était pas allé. On lui a dit qu'il y avait une place le lundi pour lui mais on n'a pas pu lui montrer sa chambre. On lui a montré le couloir, puis on est allé à la cafétéria prendre un café. Ça l'a mis en confiance. (…) Quelques temps après son entrée là-bas, mon mari m'a dit : « il fait calme ici, et le calme me convient. » (…) Forcément, il y a là-bas aussi des éclats de voix mais le personnel semble trouver ça normal, je ne sais pas comment, par la parole, elles le calment. (…) Je continuais à aller avec lui chez un acupuncteur. Après un mois il m'a dit : « il y a beaucoup moins de points à corriger que quand il était chez vous ». C'est donc qu'il est mieux qu'ici. On n'y va plus qu'une fois tous les 2 mois au lieu de toutes les 3 semaines. Et son psychiatre m'a dit de même, qu'au lieu d'y aller tous les 15 jours, il n'avait plus besoin d'y aller que tous les 2 mois.