Une femme si douce   (Récits supplémentaires)  Imprimer
Résumé
Lors du premier entretien que j'ai avec lui, à leur domicile (Mme et une garde sont présentes dans une pièce adjacente), Mr souligne le caractère doux et agréable à vivre de sa femme, essentiels pour lui. Il explique comment l'expérience de la maladie l'a modifié, en utilisant les catégories du genre. Un court passage à propos d'une émission regardée ensemble la veille au soir à la télévision fait écho à la même activité évoquée par Mr Levesque (p.46.) et Mr Donckers (Chapitre 1.2.).
Description
  • Types d'acteurs : Proche
  • Type d'acte : Activité
  • Thème(s) : Manière de voir et de vivre avec la personne, Rythme de vie des proches
  • Concept(s) : Agentivité, Division genrée du travail de care, Expérience
  • Lieu d'observation: Domicile
  • Région d'observation: Bruxelles
  • Pseudo: Mme Pirlot
  • Date d'observation: 12et 28 octobre 2011 ; 27 février 2012
  • Auteur du récit : Anne Piret
Contexte
Mr Pirlot a 80 ans lorsque je le rencontre, tout comme sa femme dont le diagnostic (maladie d'Alzheimer) a été posé en 2006. A partir de 2010 (on est alors en 2011), la maladie a beaucoup progressé : Mme ne peut pratiquement plus marcher, elle est devenue incontinente (ce qui affecte beaucoup son mari), elle dit encore quelques mots mais est rarement compréhensible. Une infirmière vient chaque jour pour le lever et la toilette, puis au départ une garde est intervenue une matinée par semaine, puis progressivement (en février 2012), 4 fois par semaine. L'objectif (selon la cheffe d'équipe) est de permettre ainsi des plages de repos pour Mr et de « maintenir un tissu social » autour de Mme. Mr Pirlot a été ingénieur pour une grosse entreprise, pour laquelle lui et sa femme ont vécu plusieurs années à l'étranger. Mr et Mme Pirlot ont deux filles, dont une vit aux Emirats Arabes Unis, l'autre pas trop loin de chez eux chez laquelle ils vont manger tous les dimanches.
Contexte Méthodologique
J'ai rencontré Mr et Mme Pirlot par le service de garde qui intervient chez eux. Je les ai rencontrés en présence d'une garde en octobre 2011, puis mené un entretien avec une autre garde chez eux 2 semaines plus tard puis mené un entretien avec la responsable de l'équipe en février 2012.
Vignette

Immédiatement, et à de nombreuses reprises, Monsieur me fait remarquer et insiste sur le tempérament doux et souriant de sa femme : « ce sourire-là, vous voyez, c'est ça qui m'aide à tenir », me dit-il les larmes aux yeux. « Ce n'est pas juste, elle est si bonne, elle n'est pas difficile et toujours souriante ». Il me fait admirer les aquarelles au salon : « regardez ce qu'elle peignait. C'est magnifique, n'est-ce pas ? ». Il y a dans ses propos à la fois une grande fierté de ce qu'est/était ? sa femme, la volonté de me la présenter maintenant encore sous un jour favorable et en même temps la frustration de tout ce qui est perdu et de l'état dans lequel elle est : « Hier, on a regardé le match de foot ensemble à la TV. Enfin, ensemble … pour elle c'est des images qui bougent. Elle est contente, elle, d'être avec moi, je crois … mais moi, je n'ai plus jamais quelqu'un avec qui avoir une conversation. ».

Il lui semble important de savoir « ce qu'elle comprend encore ». Il semble déçu que personne ne puisse vraiment lui répondre.(…)

Est-ce qu'il y a quelque chose que la maladie vous a permis de vivre ou de découvrir ? « D'abord, ça m'a permis d'être plus cool, plus proche d'elle. J'ai l'impression qu'elle a besoin de beaucoup d'amour. Ça m'a rendu plus affectueux. Vous avez, pour un homme, ce n'est pas évident, on n'est pas habitué à être démonstratif. Ça a développé ma sensibilité, mon émotivité. Et puis j'ai découvert des facettes de son caractère qui se voyaient moins, ou que je voyais moins. Par exemple toute cette douceur, ce côté « agréable à vivre ». Je cuisine aussi, maintenant ! Elle cuisinait bien, je suis allé dans ses recettes, pour savoir comment faire. J'aimais surtout beaucoup les poivrons farcis, je lui en demandais souvent, sans m'intéresser à comment ça se cuisinait. Maintenant, je refais des recettes qu'elle me faisait et que j'aimais bien. J'aime bien aussi cuisiner les chicons au gratin. La cheffe d'équipe a proposé de décaler un peu les prestations de la garde : non plus 8h30-11h30, mais plutôt 9h30-12h30 : comme ça, on pourrait vraiment manger ensemble : la garde pourrait donner à manger à ma femme et moi je pourrais aussi manger sans stress ou sans manger froid après. Et puis c'est plus gai aussi de cuisiner pour trois plutôt que pour nous deux. »

Alors que je discute gratin avec Monsieur, il s'en va vers la cuisine. « Qu'est-ce qu'il dit ? » me crie Mme. « Il dit qu'il ne sait pas faire la sauce blanche », « Mais il n'a pas d'eau, ni rien », me bredouille-t-elle. J'enchaîne : « Ah, les hommes ! Il va se débrouiller avec un sachet tout fait, qu'il dit ». Ça la fait beaucoup rigoler. Monsieur revient vers nous, mi-amusé, mi-vexé par cette « complicité féminine ».