- Types d'acteurs : Proche
- Type d'acte : Activité
- Thème(s) : Manière de voir et de vivre avec la personne, Rythme de vie des proches
- Concept(s) : Agentivité, Division genrée du travail de care, Expérience
- Lieu d'observation: Domicile
- Région d'observation: Bruxelles
- Pseudo: Mme Pirlot
- Date d'observation: 12et 28 octobre 2011 ; 27 février 2012
- Auteur du récit : Anne Piret
Immédiatement, et à de nombreuses reprises, Monsieur me fait remarquer et insiste sur le tempérament doux et souriant de sa femme : « ce sourire-là, vous voyez, c'est ça qui m'aide à tenir », me dit-il les larmes aux yeux. « Ce n'est pas juste, elle est si bonne, elle n'est pas difficile et toujours souriante ». Il me fait admirer les aquarelles au salon : « regardez ce qu'elle peignait. C'est magnifique, n'est-ce pas ? ». Il y a dans ses propos à la fois une grande fierté de ce qu'est/était ? sa femme, la volonté de me la présenter maintenant encore sous un jour favorable et en même temps la frustration de tout ce qui est perdu et de l'état dans lequel elle est : « Hier, on a regardé le match de foot ensemble à la TV. Enfin, ensemble … pour elle c'est des images qui bougent. Elle est contente, elle, d'être avec moi, je crois … mais moi, je n'ai plus jamais quelqu'un avec qui avoir une conversation. ».
Il lui semble important de savoir « ce qu'elle comprend encore ». Il semble déçu que personne ne puisse vraiment lui répondre.(…)
Est-ce qu'il y a quelque chose que la maladie vous a permis de vivre ou de découvrir ? « D'abord, ça m'a permis d'être plus cool, plus proche d'elle. J'ai l'impression qu'elle a besoin de beaucoup d'amour. Ça m'a rendu plus affectueux. Vous avez, pour un homme, ce n'est pas évident, on n'est pas habitué à être démonstratif. Ça a développé ma sensibilité, mon émotivité. Et puis j'ai découvert des facettes de son caractère qui se voyaient moins, ou que je voyais moins. Par exemple toute cette douceur, ce côté « agréable à vivre ». Je cuisine aussi, maintenant ! Elle cuisinait bien, je suis allé dans ses recettes, pour savoir comment faire. J'aimais surtout beaucoup les poivrons farcis, je lui en demandais souvent, sans m'intéresser à comment ça se cuisinait. Maintenant, je refais des recettes qu'elle me faisait et que j'aimais bien. J'aime bien aussi cuisiner les chicons au gratin. La cheffe d'équipe a proposé de décaler un peu les prestations de la garde : non plus 8h30-11h30, mais plutôt 9h30-12h30 : comme ça, on pourrait vraiment manger ensemble : la garde pourrait donner à manger à ma femme et moi je pourrais aussi manger sans stress ou sans manger froid après. Et puis c'est plus gai aussi de cuisiner pour trois plutôt que pour nous deux. »
Alors que je discute gratin avec Monsieur, il s'en va vers la cuisine. « Qu'est-ce qu'il dit ? » me crie Mme. « Il dit qu'il ne sait pas faire la sauce blanche », « Mais il n'a pas d'eau, ni rien », me bredouille-t-elle. J'enchaîne : « Ah, les hommes ! Il va se débrouiller avec un sachet tout fait, qu'il dit ». Ça la fait beaucoup rigoler. Monsieur revient vers nous, mi-amusé, mi-vexé par cette « complicité féminine ».