« J’ai téléphoné à Carole tellement j’étais mal »   (Récits supplémentaires)  Imprimer
Résumé
Une garde raconte la situation de harcèlement sexuel et moral qu'elle a vécu lors de son premier passage chez un homme ayant subi un AVC avec rupture d'anévrisme et la manière dont elle y a réagi. Plutôt que d'appeler le service, elle a choisi d'appeler une collègue, faisant usage de la ressource qu'est le collectif soignant (voir livre chapitre 9). Cette réunion de garde est un bon exemple de la richesse particulière des réunions rassemblant ces professionnel·le·s.
Description
  • Types d'acteurs : Garde à domicile
  • Type d'acte : Réunion d'équipe
  • Thème(s) : Harcèlement, Tension professionnel/personne aidée
  • Concept(s) : Récit, Ressource du collectif soignant
  • Lieu d'observation: Réunions en dehors du temps de soin
  • Région d'observation: Bruxelles
  • Date d'observation: 12/05/12
  • Auteur du récit : Anne Piret
Contexte
Observation d'une réunion d'équipe de gardes, opérant dans une OSD offrant par ailleurs différents services d'aide à la vie journalière. La réunion rassemble 16 gardes, dont un homme et la cheffe d'équipe. Le premier temps de la réunion (qui dure 4h de façon mensuelle) est consacré à l'ajustement des horaires en fonction « des demandes des familles », viennent ensuite « un temps pour présenter les nouvelles demandes, un temps pour entendre le retour des premières fois (auquel appartient l'observation rapportée ici), un temps pour les situations en cours (selon les explications de la cheffe en début de réunion, à mon intention). L'équipe peut compter sur l'intervention d'une psychologue pour une intervision en cas de situation plus lourde. La cheffe d'équipe est infirmière sociale de formation : après un début de carrière à l'hôpital, elle s'est réorientée vers l'OSD où elle travaille aujourd'hui suite à la naissance de ses enfants et à sa « frustration par rapport à l'aspect social à l'hôpital. (…) C'est plus riche de rencontrer les gens chez eux. ».
Contexte Méthodologique
J'ai suivi une réunion de cette équipe de garde et mené un entretien avec sa cheffe, dans le cadre d'une recherche où je suivais des situations de personnes « démentes » vivant à domicile avec des proches et des professionnelles, une des personnes rencontrées étant suivie par l'équipe en question.
Vignette

Stéphanie prend la parole pour rapporter la manière dont s'est déroulée la première prise en charge chez un Monsieur qui a eu un AVC suite à une rupture d'anévrisme, la demande initiale porte sur 1 journée par mois, pour l'épouse. La cheffe : « J'entends que ça a été difficile pour toi, dépose-moi ce qui s'est passé ». Stéphanie rapporte des comportements de harcèlement sexuel, d'attouchement, d'insulte : « Je n'ai jamais été aussi stressée de ma vie ! ». « Essaie de me décrire objectivement ce qui s'est passé, pour que je puisse relayer des éléments concrets, pour que votre cadre de travail soit correct ». « Moi, c'est fini, je n'y vais plus », « J'entends, mais dépose ». Stéphanie raconte, décrit la journée et les interactions. « Comment as-tu réagi ? », «J'ai dit : ça Monsieur, je ne veux plus entendre, on ne parle pas comme ça, ou je dois en parler au service. Pas moyen de communiquer avec lui. Je n'ai rien osé dire à Madame quand elle est rentrée. C'est vraiment délicat, parce qu'il écoutait ce que je disais à Madame. Après, on dira « oui, mais c'est la garde qui le provoque » et puis je pensais à cette épouse qui a l'air d'en avoir tellement marre, c'est sa seule occasion de sortir, à cette pauvre femme-là ». D'autres gardes réagissent : « Il y a vraiment des malades … ! ». La cheffe s'engage à prendre contact avec l'autre équipe [des aides familiales interviennent aussi], pour voir comment ça se passe, et avec l'épouse. On convient aussi que Stéphanie n'ira plus. « Dans ma voiture, j'ai téléphoné à Carole (une autre garde), tellement j'étais mal », « Tu pouvais téléphoner au service », « Je ne pouvais pas en parler au téléphone, il me fallait d'abord prendre du recul. A la dame, j'ai dit que ça avait été ». « Il faut lui dire, d'autres aides familiales ont peut-être le même problème. On peut aussi réinterpeller le médecin : c'est peut-être une séquelle de l'AVC, et il y a peut-être moyen d'améliorer par un traitement. » Une autre garde relate un épisode de harcèlement où elle a appelé le service devant le bénéficiaire. « ça l'a bien calmé », « ici, je n'aurais même pas osé…je me dis, cette femme-là, elle va encore être renfermée plus, elle ne peut déjà jamais sortir… ». La cheffe conclut sur les initiatives à prendre : « Il faut que j'intervienne, avec mes collègues, parce que ce qui se passe n'est pas anodin : il y a l'aspect de vos conditions de travail, mais aussi une famille qui est peut-être en souffrance et qui peut être accompagnée psychologiquement éventuellement ».