2. Un rythme scandé par le passage des professionnel·le·s   (Chapitre 2)  Imprimer
Résumé
On suit la routine des journées de Mr Cardinael, organisées autour du passage des soignant·e·s, au sein desquelles il parvient à se ménager un peu de temps pour lui. Ceci sera analysé comme une disposition genrée (en l'occurrence, masculine) à préserver du temps pour soi aux pp.74-77.
Description
  • Types d'acteurs : Proche
  • Type d'acte : Soins intégrés
  • Thème(s) : Rythme de vie des proches
  • Concept(s) : Disposition genrée
  • Lieu d'observation: Domicile
  • Région d'observation: Bruxelles
  • Pseudo: Mme Cardinael
  • Date d'observation: 14/09/2013
  • Numéro de page du livre : 75
  • Auteur du récit : Natalie Rigaux
Contexte
Quand je les rencontre pour la première fois en septembre 2011, Mme Cardinael a 73 ans, monsieur 71 : les premiers signes de la maladie, repérés par une belle-fille infirmière remontent à 2004, le diagnostic ayant finalement été posé en 2006. Madame a longtemps refusé de consulter un·e neurologue. J'apprendrai par la fille de madame, après deux ans de rencontres, que le diagnostic posé a été une démence à corps de Loewi. Si je ne l'ai appris que si tard, c'est que Mr Cardinael, que je vois toujours en présence de sa femme, utilise systématiquement des détours pour parler de la maladie qui l'affecte vu qu'elle n'en a jamais été avertie. Il le fera jusqu'aux derniers jours de sa vie, même quand elle dort. Mr Cardinael souffre de névralgies chroniques qui sont apparues bien avant les problèmes de son épouse et dont le traitement implique des interventions chirurgicales annuelles. Il a fait toute sa carrière dans la presse, commençant comme employé, finissant à la direction des ventes. Madame a été secrétaire dans le secteur des assurances. Elle a arrêté de travailler à la naissance de leur second enfant (une fille, l'aîné étant un garçon). A part sa fille, son frère et rarement son fils, Mr Cardinael n'a pas de contact avec la famille et les amis. Mme Cardinael n'a de relation qu'avec sa fille et son mari, en plus de ses contacts avec les professionnel·le·s. Son fils ne sait comment communiquer avec elle lors de ses rares passages, selon ce que m'en dit son père. En septembre 2011, Mr Cardinael est aidé dans les soins à donner à son épouse par des infirmier·ère·s (matin et soir), une aide-ménagère (une fois par semaine) et une kiné. A partir de 2012, des aides familiales viendront tous les midis donner à manger à madame, vu la difficulté qu'il y a à le faire. La fille de Mr et Mme Cardinael est très présente : pendant dix mois tous les jours (pour alimenter sa mère le midi), ensuite minimum tous les WE. Elle est un appui important pour son père et une actrice majeure du soin reçu par sa mère.
Contexte Méthodologique
Mes sources sont huit passages chez les Cardinael qui se sont étalés de septembre 2011 à janvier 2014 (madame décédant début février de la même année). J'ai été présente lors de trois toilettes infirmières, de deux passages d'une kiné, de trois repas donnés par des aides familiales et d'un repas donné par la fille des Cardinael. Ces passages ont été souvent l'occasion de longues conversations avec Mr Cardinael. J'ai réalisé un entretien avec Greta, l'infirmière de référence de Mme Cardinael et participé à une réunion de l'équipe infirmière.
Vignette
Afin d'être prêt pour l'arrivée des infirmières, Mr Cardinael se lève à 7h30. Il se prépare, descend voir si sa femme dort encore. Si ce n'est pas le cas, il l'assied dans son lit et lui donne son déjeuner. Pendant la toilette, il aide les infirmières à faire certaines manœuvres : tourner son épouse sur la tranche, la faire passer du fauteuil au lit. En effet, ayant refusé vu l'exiguïté de la pièce l'installation du lève-personne demandé par les infirmières, il s'est engagé à les aider. Après leur départ, il faut ranger le matériel de soin, le préparer pour la toilette du soir. Mr Cardinael me montre une liste de deux pages de produits demandés par les infirmier·ère·s qu'il a disposés sur une petite table à côté du lit médicalisé de son épouse. La matinée est occupée à diverses tâches, dont monsieur m'explique le contenu, lorsque j'arrive un jour à midi (14.09.13) :« Voilà, je viens d'avoir fini » : l'aide à la toilette, faire tourner des machines, ranger le linge, … Il me montre des piles préparées sur un petit meuble à côté du lit de madame : « Vous voyez tout ce linge ? Il y en a jusqu'à mardi maximum ! » Il a une certaine fierté à me dire ce qu'il fait. Aux alentours de midi arrive l'aide familiale pour donner le repas qu'il prépare pendant que celle-ci s'installe. Vient un moment de la journée plus calme (14.09.13) : « Entre 14 et 16h, j'ai en général un moment pour aller faire des courses. Et quand elle est couchée, prête à dormir, avec les derniers médicaments donnés – il est 19h30, 20h – je peux sortir. Je me trouve une petite activité, comme aller promener les chiens. Il faut que j'aie un peu de détente, que je puisse me changer les idées. Heureusement que j'aime lire ! ». A partir de 16h, les infirmier·ère·s sont susceptibles de passer pour la toilette du soir et la mise au lit, pendant lesquelles monsieur est de nouveau mis à contribution, puis le rangement et la préparation du matériel pour la toilette suivante. Il donne un dernier repas à son épouse (quakers, crèmes, etc). Lorsqu'il lit dans son bureau (situé au rez-de-chaussée, sa femme étant au premier), il m'explique qu'il vient « au minimum toutes les 30 minutes » voir si tout va bien et lui dire quelques mots.