- Types d'acteurs : Logopède
- Type d'acte : Activité
- Thème(s) : Stimulation
- Concept(s) : Micro-politique des troubles
- Lieu d'observation: Centre (de soins) de jour
- Région d'observation: Bruxelles
- Date d'observation: 24.09.12/27.12.12
- Numéro de page du livre : 199
- Auteur du récit : Natalie Rigaux
Alors que nous sommes encore dans la salle commune, Sophie, la jeune logopède, propose à Mme Danval d'aller à la salle de kiné pour commencer la séance de logopédie. Le temps de l'accompagner jusque-là, Mme Danval me raconte de façon très forte les problèmes qu'elle a « avec sa tête » et les questions qu'elle se pose sur la possibilité de rester seule chez elle, ne pouvant retourner chez son mari, beaucoup plus âgé qu'elle. Du coup, quand on arrive près de Sophie, celle-ci a du mal à faire commencer la séance, Mme Danval étant toute à ses – légitimes – préoccupations. Lorsque Sophie interrompt le discours qui m'était adressé, Mme Danval se tourne vers elle et lui dit : « C'est vous le chef alors ? » On rit. Sophie propose des phrases qu'il faut compléter par un terme opposé. Mme Danval parvient souvent à compléter la phrase (mais pas par l'antonyme), cale parfois. Qu'elle y arrive ou non, elle se lance régulièrement dans un discours à propos de sa vie en lien avec la phrase donnée. Elle dit à certains moments des choses très fortes qui lient ses problèmes cognitifs et son identité. Sophie la ramène autant qu'elle peut vers la consigne. Quand Mme Danval n'arrive pas à y satisfaire, Sophie lui donne la « bonne » réponse. A un moment, elle lui demande à propos de celle-ci : « Cela fait sens pour vous ? » Mme Danval : « Si vous voulez, moi, je ne vois pas trop. » En sortant pour aller manger, Mme Danval me dit en riant : « Je suis une grande bavarde, j'aime parler »
Pendant toute la séance, Mme Danval joue un autre jeu que celui que tente de lui imposer Sophie, déplaçant les consignes pour parler de ce qui lui tient à cœur à ce moment-là : les difficultés qu'elle rencontre dans sa vie ou tout simplement le récit de celle-ci. Dans le débriefing que Sophie m'en propose, son verdict est sans appel : « Il faut contenir sa logorrhée, la structurer ! ». Focalisée qu'elle est sur la fonction à revalider, elle semble n'avoir pas entendu le désir de Mme Danval d'élaborer ses préoccupations face à la maladie ni saisi l'opportunité qui s'offrait d'échanger avec elle, toute à son souci de lui faire faire des exercices. Tout ce que dit Mme Danval est recodé comme symptôme contre lequel lutter.
La séance avec Mr Peinard, personnage haut en couleurs du centre, mérite d'être évoquée : Sophie lui fait faire un exercice où il s'agit de compléter les phrases avec un nom de métier : « celui qui passe l'aspirateur c'est… » Réponse de Mr Peinard « ma femme » (je ris avec Mr Peinard, pas Sophie, encore moins quand Mr Peinard répond de même à la question qui suit : « Celui qui fait les comptes, c'est… »). Elle me dira après la séance : « Vous voyez, il comble, mais il manque de fluence avec un retour vers le particulier ». Puis, il doit trouver un maximum de noms de fruits et légumes commençant par la lettre P. Après deux ou trois idées, il cale et s'en trouve manifestement mal. Une heure plus tard, alors que nous faisons ensemble la vaisselle, Sophie étant dans les parages, il continue à chercher. Sophie me glisse « il est beaucoup dans la persévération » (j'y vois pour ma part le malaise lié à la mise en échec qui a précédé). Elle ajoute : « Mr Peinard, on croit qu'il s'en sort parce qu'il est en groupe, qu'il fait du bruit, mais en face à face, on se rend compte de ses déficits ».