- Types d'acteurs : Aide soignant.e, Infirmier.ère
- Type d'acte : Activité
- Thème(s) :
- Concept(s) : Communauté démocratique, Micro-politique des troubles
- Lieu d'observation: Centre (de soins) de jour
- Région d'observation: Bruxelles
- Date d'observation: 24.10.14 et 20.05.15
- Numéro de page du livre : 185
- Auteur du récit : Natalie Rigaux
Catherine me raconte comment la journée a été préparée : « On a eu l'idée la semaine dernière de faire cette journée avec Fatou, l'aide-soignante en stage et Mr Keita, vu qu'ils s'entendent bien et viennent d'aires géographique et culturelle proches. » Fatou est arrivée du Sénégal il y a 4 ans, avec son mari et ses 4 enfants, et a entrepris une formation d'aide-soignante ; Mr Keita a dû quitter la Guinée comme réfugié politique quand il était jeune. Il s'est marié en Belgique avec une belge (dont nous avons évoqué l'engagement bénévole @3.2) et vit depuis lors ici. Comme Mr Bouvard, c'est initialement contraint par son épouse qu'il vient au centre. Fatou et lui sont Peuls et d'origine musulmane. La journée a été préparée par un groupe constitué de Catherine, des deux principaux intéressés et de trois autres visiteurs. Elle commence par la préparation commune d'un poulet Yassa sous la direction de Fatou, se poursuit par un temps de gym-danse sur fond de musique guinéenne, puis par une après-midi autour de la projection de photos de Guinée sélectionnées par le groupe de préparation (24.10.14).Les photos sont commentées par Fatou, plus rarement par Mr Keita. Même s'il n'intervient pas beaucoup, il est très présent (alors qu'il lui arrive souvent de dormir pendant les activités de l'après-midi). Comme on en vient à parler de l'Islam, Fatou nous explique comment elle fait ses prières. Catherine propose alors à Habiba d'expliquer les différences avec sa tradition (pakistanaise en Belgique) qu'elle a eu l'occasion de raconter aux visiteur·se·s précédemment. Fatou se met à raconter comment on se marie « au village », sans que la fille n'ait le choix du conjoint : « Ça, je ne supporte pas, il y a des choses qui doivent changer. » Habiba poursuit en racontant que même à Bruxelles, elle a dû imposer à sa communauté de marcher à côté de son mari, pas derrière lui. Les autres visiteur·se·s sont très intéressé·e·s par ce qui est projeté, posant de temps à autre des questions. Mme Furet : « Ils sont tous noirs, là-bas ? » On rit. Elle poursuit : « Au fond, il y a deux sortes : les intelligents et … ». Dans ce contexte, Mr Keita fait manifestement partie de la première catégorie et au-delà de lui, Mme Furet semble être en train de revoir sa position concernant « les Noirs ». Le temps passe très vite et à 15h (heure traditionnelle de la collation), Catherine propose que Fatou et Mr Keita continuent à parler de leur pays tout en prenant le café. (…) Quand Fatou raccompagne Mr Keita, son taxi étant arrivé, elle lui dit : « C'était une belle journée de fête, n'est-ce pas Mr Keita ? », et c'est le sentiment qu'il semble lui aussi éprouver. Dès qu'il est parti, Catherine pense à appeler son épouse pour la remercier d'avoir préparé des souvenirs de Guinée (musique, photos, vêtements) et lui raconter le bonheur de son mari : « C'était le roi de la fête ! ».
Lors de la seconde journée sénégalo-guinéenne (29.05.15) à l'occasion du passage au centre d'une autre stagiaire sénégalaise, Mr Keita va cette fois être aux commandes pendant le temps de projection des images, lui-même expliquant les photos, parfois en boucle mais avec une aisance saisissante.
Comme lors de la projection du film de Mr Bouvard, c'est la contribution de Mr Keita à la mise en œuvre des activités du centre qui apparaît, non ses déficits qui, s'ils sont plus ou moins présents selon les deux journées sous revue, ne l'empêchent jamais d'être « le roi de la fête ». Les spécificités sur base desquelles se construit l'équipe qu'il forme avec une soignante (des affinités et une proximité culturelle) sont reconnues et valorisées en tant que telles, considérées comme intéressantes à découvrir, inversant ainsi le stigmate qui y est parfois associé. Être Noire et musulmane donne alors à Fatou un avantage qui tend à égaliser des rôles professionnels distincts et hiérarchisés : de par son expérience sénégalaise (cuisine, danse, religion,…), elle va se retrouver avec plus de responsabilités et de valorisation pendant cette journée que ce à quoi son statut de stagiaire aide-soignante ne lui permet de prétendre d'ordinaire. Les autres membres de l'équipe et Catherine en particulier (qui est responsable de la journée dans sa globalité et la soignante la plus qualifiée à ce moment-là) lui laissent volontiers cette place. L'ensemble des visiteur·se·s manifeste un intérêt par leurs questions, leur goût pour le poulet Yassa, leur plaisir à danser avec Fatou. On perçoit le travail effectué collectivement sur les différences culturelles quand Fatou prend distance par rapport aux mariages imposés aux filles, Habiba par rapport à l'être en public des femmes de sa communauté, Mme Furet par rapport à sa vision des Noirs. Une parole libre circule, reposant sur la confiance et le respect mutuel, qui permet de réinterroger face à autrui la vision de soi et de l'autre. De nombreuses journées seront construites sur ce modèle vu l'appartenance multiculturelle des visiteur·se·s du centre et de ses professionnelles.