Les modalités du repas ne favorisent pas les échanges entre les personnes accueillies. L'usage systématique de la bavette (avec une observation qui s'y rapporte) peut faire penser à ce que Goffman nomme les pratiques de mortification des « reclus » des institutions totales, interrompues par l'attention d'une des soignantes. Le contraste est grand avec tous les effort faits à Ste Monique pour favoriser les liens entre les visiteur·se·s.
Le centre « La Rivière » (pseudonyme) est un centre de soins de jour qui fait partie du CPAS d'une commune bruxelloise. Il dépend – comme tous les centres de soins de jours – d'une MR au sein de laquelle il se trouve et dont le directeur est aussi le responsable hiérarchique de la directrice de la Rivière. Vu son appartenance à un CPAS, un certain nombre de décisions sont prises par le Conseil de l'action sociale (élu par le conseil communal au départ de propositions faites par les partis représentés au conseil communal), en particulier les décisions d'admission et de fin de l'accueil. Le centre n'est pas spécialisé pour l'accueil de personnes démentes même si de fait, entre la moitié et trois-quarts des personnes accueillies ont reçu ce diagnostic. Pour être admis au centre, il faut soit être diagnostiqué dément soit souffrir d'une dépendance physique (pour la toilette/l'habillage et les déplacements). Le fait que des personnes sans troubles cognitifs étaient accueillies rendaient les jeux de type quiz d'autant plus sélectifs (les personnes dans ce cas monopolisant l'attention des soignant·e·s en charge de ces jeux).
J'ai passé au centre deux fois une semaine à distance d'une année (en décembre 2011, puis en janvier 2013). En décembre 2013, j'y ai passé deux journées pour comprendre ce qui se passait avec Mme Donckers qui allait en être exclue (cf 1.1).
Les tables sont installées en
U, ce qui fait que personne n'a de vis-à-vis immédiat. Chacun·e a un set de table à son nom,
plastifié sur un coloriage (reflet d'une activité antérieure). Des plateaux
repas nominatifs sont progressivement servis - entrée, plat, dessert - selon le
rythme propre à chaque convive. Quand quelqu'un a tout fini, un·e soignant·e lui propose d'aller
s'installer dans l'autre partie de la pièce où se trouvent des fauteuils relax
pour la sieste. Le
repas est très silencieux, pratiquement sans échanges. J'ai l'impression
d'assister à un ensemble de repas pris en solitaire. (…)
On met à Mr Dechien (dont ce
sont les premiers jours au centre) comme à tout le monde systématiquement une
bavette en papier, qu'un·e
soignant·e lui attache autour du cou. Il réagit : « Je n'en suis
quand même pas à me baver dessus ! ». Mme Vanbesien dit (avec son enthousiasme
coutumier qui dans ce contexte me semble grinçant) : « Oh, quelle
jolie bavette on nous met, dis ! ». Lorsque Mr Dechien veut aller aux
toilettes, Mariella lui enlève sa bavette. Quand il en revient, elle
dit : « On ne va pas la lui remettre. Ça ne lui plait pas. Ça
fait deux fois qu'il fait la remarque. »