- Types d'acteurs : Proche
- Type d'acte : Soins intégrés
- Thème(s) : , Aidant improbable, Limites du domicile
- Concept(s) : Division genrée du travail de care, Quatre temps du "care", Réciprocité
- Lieu d'observation: Domicile
- Région d'observation: Bruxelles
- Pseudo: Mr et Mme Nagy
- Numéro de page du livre : 174
- Auteur du récit : Natalie Rigaux
C'est en intervenant lui-même dans une des associations où Mr Biaud est bénévole que Mr Nagy fait se connaissance et réalise l'ampleur de ses difficultés. Il va remettre en ordre sa situation administrative, l'accompagner chez un neurologue qui pose le diagnostic de maladie d'Alzheimer et lui trouver un logement, un étage en dessous de chez lui. Qui est Mr Nagy ? Il a émigré de Hongrie dans les années 90 avec sa femme et leurs cinq enfants, n'y étant plus en sécurité. Son épouse et lui sont universitaires. Sans papier pendant plusieurs années, il va vivre de petits boulots jusqu'à pouvoir régulariser sa situation. Alors que celle-ci est encore très précaire, il bénéficie de l'aide du propriétaire de la maison dont il occupe deux étages, initialement sans avoir à payer de loyer, le rez-de-chaussée étant laissé au restaurant social que Mr Nagy gère bénévolement. C'est ce même propriétaire qui, à la demande de Mr Nagy, va permettre à Mr Biaud d'occuper le premier, pour un loyer très modique vu l'endettement qu'il apure progressivement avec l'aide de son voisin. Au moment où je le rencontre, Mr Nagy vit avec sa famille grâce à des allocations de chômage et des allocations familiales. Il est toujours le responsable bénévole très investi du restaurant social situé au rez-de-chaussée de son immeuble. Lui et sa femme ont d'importants problèmes de santé.
Comment est organisée la vie de Mr Biaud ? Il va quatre jours par semaine au centre de jour, le cinquième jour une aide-ménagère (d'un service public) vient mettre en ordre son appartement tout en ayant, semble-t-il, de très bons contacts avec lui. Le samedi, Mr ou Mme Nagy sortent avec Mr Biaud : quelques courses, une promenade avec le chien, un dîner au « restaurant » de la grande surface voisine, … Tous les matins, c'est Mme Nagy qui soutient la mise en route de Mr Biaud : elle l'aide à prendre une douche, à s'habiller, prépare son petit déjeuner, lui donne ses médicaments et veille à ce qu'il soit prêt pour l'arrivée du chauffeur qui l'emmène au centre de jour. Toutes ces opérations prennent chaque matin entre une heure et une heure trente et supposent pas mal de doigté, Mr Biaud acceptant difficilement de changer de vêtements et d'avaler ses médicaments. Tous les soirs, c'est elle aussi qui vient préparer son souper (et une bouteille de bière avec l'accord du médecin). Le dimanche, Mr Biaud descend au restaurant social où il a été autrefois bénévole, sans plus pouvoir aider mais en bénéficiant de la présence du groupe (et des Nagy qui s'y activent). Cet équilibre se rompt progressivement pour deux raisons : alors que jusque-là Mr Biaud aimait rester dans son appartement lorsqu'il était seul, il se met à sortir et à se perdre dans le quartier, occasionnant pas mal de frayeurs aux Nagy, lui-même étant très perturbé ensuite. Des problèmes de gestion de ses fèces vont apparaître, Mr Nagy essayant différentes stratégies pour l'aider (dont des pantalons plus faciles à enlever) sans succès. Quand « il met du caca partout », c'est Mme Nagy aidée parfois de l'aide-ménagère qui va tout nettoyer. Notons par ailleurs que Mr Nagy s'est investi pour que des liens soient renoués entre Mr Biaud et sa famille, avec succès en ce qui concerne sa sœur (pas ses frères) et son ex-femme (pas ses deux fils), qui vont lui rendre visite régulièrement.
Il y a donc de la part de Mr Nagy un investissement dans le taking care about/of de Mr Biaud et dans le chef de son épouse une intervention importante dans le care giving lui-même (en ce compris le « sale boulot »), ce qui correspond à une distribution genrée des actes du soin des plus classiques.
Comment mieux comprendre leur engagement dans l'aide de Mr Biaud ? Mr Nagy évoquera un motif relevant d'une forme de réciprocité généralisée : eux-mêmes ont été aidés à leur arrivée en Belgique, entre autres par le propriétaire de la maison où ils habitent encore, il considère comme normal d'aider à leur tour. Il me dit aussi apprécier la personne de Mr Biaud : « C'est quelqu'un de bien ». Lui et sa femme s'inscrivent dans une culture de l'engagement bénévole. Enfin, l'un et l'autre sont des chrétiens convaincus et madame me dira explicitement qu'il y a dans l'aide donnée un devoir moral (en paraphrasant l'évangile : « Si tu ne fais pas ça pour les petits, tu ne fais pas ça pour moi non plus »). Pour elle de façon spécifique, il y a aussi le plaisir de se sentir utile alors que ses enfants sont grands aujourd'hui et n'ont plus besoin d'elle. Elle va d'ailleurs résister pendant un temps à l'institutionnalisation prônée par son mari lorsque la vie au domicile devient plus chaotique pour Mr Biaud et ses voisin·e·s, quand bien même c'est elle qui en assume la charge au quotidien.