Résumé
On apprend les rôles que Mr Plissart et Clara, l'aide-familiale de référence m'attribuent et la façon dont je me situe par rapport aux différents protagonistes de la situation.
Description
- Types d'acteurs : Aide familiale, Chercheur·se, OSD
- Type d'acte : Immersion
- Thème(s) : Enjeux éthiques-épistémologiques de la recherche
- Concept(s) :
- Lieu d'observation: Domicile
- Région d'observation: Bruxelles
- Pseudo: Mr Plissart
- Date d'observation: 2011-2015
- Numéro de page du livre : undefined
- Auteur du récit : Natalie Rigaux
Contexte
Mr Plissart vit dans un pavillon de banlieue, en périphérie d'une petite ville du Brabant wallon. Dans son quartier s'alignent des bâtiments de même type, sans un commerce à l'horizon. Il vit seul avec son chien auquel il est très attaché : il ne veut jamais le laisser seul chez lui et le chien dort sur son lit. Ce chien va assez bien détériorer l'état de la maison : il a déchiré l'une ou l'autre tenture et fait parfois ses besoins dans la maison. L'odeur quand on y entre n'est donc pas toujours très fraîche.
Sa femme souffrant de maladie d'Alzheimer a été « placée » suite à une décision de sa fille unique, près du domicile de celle-ci.
Mr Plissart a 83 ans quand je le rencontre pour la première fois, en novembre 2011 et décèdera une semaine après son entrée en institution en décembre 2015. Aucun diagnostic n'a été posé mais selon les intervenants, on me dira qu'il souffre de « confusion », de « sénilité » voire, de « maladie d'Alzheimer ». Après plusieurs épisodes d'arnaques dont il a été victime de la part de colporteurs, puis de chutes de tension expliquées par une mauvaise prise de médicaments, des aide-familiales vont passer deux fois par jour, pour une aide à la toilette, à la prise de médicaments et pour faire le repas de midi. Une aide-ménagère vient une fois par quinzaine. Sa fille, qui habite à plus d'une heure de là, passe une fois tous les 15 jours. Mr Plissart, issu d'une famille ouvrière, a fait une grande carrière dans l'administration publique, dont il parle de façon répétitive avec beaucoup de fierté.
Contexte Méthodologique
Après un entretien avec sa fille (au domicile de celle-ci), je rencontrerai Mr Plissart à 10 reprises entre 2011 et 2015, à l'occasion de la venue d'aide-familiales. Lors de mes passages, je l'écouterai me raconter sa vie, je l'accompagnerai en promenade avec son chien et j'irai parfois faire quelques courses avec les aide-familiales.
Vignette
L'OSD par laquelle j'ai été mise en contact avec Mr Plissart est celle dont est issue le plus de personnes rencontrées. J'y ai reçu un appui particulier pour ma recherche, sans doute entre autre par ce qu'avant d'entamer celle-ci, je participais à un comité scientifique venant en appui à un projet développé par cette OSD à sa demande. La première assistante sociale en charge de l'équipe de Clara me le rappellera à sa façon : alors que je la remercie pour l'entretien qu'elle m'a accordé, elle me répond « on nous a demandé de vous aider. » L'assistante sociale qui la remplacera réservera toujours un bon accueil à mes demandes de participation, tant aux réunions de son équipe qu'aux suivis de prestations de membres de son équipe. Je n'ai pas senti que l'appui particulier de la direction de l'OSD s'était répercuté jusqu'aux aide-familiales rencontrées : avec elles, c'est comme dans les autres situations que le lien, une fois qu'il est noué par la première rencontre est réactivé par la suite.
J'ai eu beaucoup d'échanges avec Mr Plissart pour différentes raisons : il vivait seul chez lui, était très en demande d'écoute, et j'ai eu l'occasion de lui rendre visite pendant quatre années. La forme de tyrannie qu'il a subie par les effets conjugués de l'intervention de sa fille et de Clara, la rudesse des échanges avec elle m'ont beaucoup touchée. Je me sentais très empathique face à ses plaintes ou parfois sa colère, sans que je me permette d'intervenir directement vis-à-vis de Clara. Était-ce ma crainte de son côté dragon ? Plus instrumentalement le souci de ne pas me faire mettre dehors de ce lieu d'enquête (comme je l'ai été suite à une réaction de ma part chez Mme Paquot ?) ? J'étais en tout cas le témoin silencieux de sa déconfiture, très mal à l'aise dans cette position. Il m'a semblé que lui s'appuyait sur mon écoute et mon attention pour manifester son désarroi ou sa révolte. Dès que nous sortions ensemble, à l'abri des regards de Clara, nous étions bien entendu tacitement d'accord pour qu'il puisse – en l'occurrence – mener la promenade avec son chien comme il l'entendait, en tenant lui-même la laisse, celle-ci bien tendue de peur que le chien ne tire trop fort .
Mr Plissart ne me reconnaissait pas d'une fois à l'autre, en dépit de ses dénégations (si Clara lui demandait par exemple « vous vous souvenez de Natalie ? » lui répondait : « mais oui bien entendu »). En dépit de mes explications, il me prenait généralement pour une aide-familiale (comme lorsqu'il m'a demandé de lui faire son café – un jour où j'étais arrivée avant l'aide-familiale attendue – ou se préoccupait de signer « ma feuille de présence »), une fois aussi pour une « contrôleuse » du travail des aide-familiales (comme Mr Bellens, sans doute parce que je suis souvent restée assise à bavarder avec lui, pendant que l'aide-familiale vaquait à ses occupations). Un jour qu'il était à la salle de bain avec Anne, moi-même dans le couloir, je l'ai entendu demander à Anne : « c'est qui cette dame ? » et Anne de répondre « elle vient voir comment améliorer encore notre travail ». Il me semble que cela ne l'a pas empêché de percevoir et d'apprécier mon écoute et mon attention à son expérience.
Vu ma façon de percevoir le contrôle de la fille sur la vie de son père, je ne me suis pas permis de lui restituer ma première analyse, comme il est arrivé chaque fois que ma position à l'égard d'un acteur était globalement critique. Même pendant le temps du suivi, je ne l'ai rappelée qu'une fois en dehors du premier entretien. Bien sûr, le fait qu'elle ait choisi la première fois de me recevoir chez elle (« quand je suis chez mon père, je m'occupe de lui, c'est déjà une journée très lourde ») diminuait pour moi l'intérêt d'un contact, mais sans doute est intervenue aussi ma difficulté à apprécier sa façon de prendre soin de son père.
J'ai eu beaucoup d'échanges avec Mr Plissart pour différentes raisons : il vivait seul chez lui, était très en demande d'écoute, et j'ai eu l'occasion de lui rendre visite pendant quatre années. La forme de tyrannie qu'il a subie par les effets conjugués de l'intervention de sa fille et de Clara, la rudesse des échanges avec elle m'ont beaucoup touchée. Je me sentais très empathique face à ses plaintes ou parfois sa colère, sans que je me permette d'intervenir directement vis-à-vis de Clara. Était-ce ma crainte de son côté dragon ? Plus instrumentalement le souci de ne pas me faire mettre dehors de ce lieu d'enquête (comme je l'ai été suite à une réaction de ma part chez Mme Paquot ?) ? J'étais en tout cas le témoin silencieux de sa déconfiture, très mal à l'aise dans cette position. Il m'a semblé que lui s'appuyait sur mon écoute et mon attention pour manifester son désarroi ou sa révolte. Dès que nous sortions ensemble, à l'abri des regards de Clara, nous étions bien entendu tacitement d'accord pour qu'il puisse – en l'occurrence – mener la promenade avec son chien comme il l'entendait, en tenant lui-même la laisse, celle-ci bien tendue de peur que le chien ne tire trop fort .
Mr Plissart ne me reconnaissait pas d'une fois à l'autre, en dépit de ses dénégations (si Clara lui demandait par exemple « vous vous souvenez de Natalie ? » lui répondait : « mais oui bien entendu »). En dépit de mes explications, il me prenait généralement pour une aide-familiale (comme lorsqu'il m'a demandé de lui faire son café – un jour où j'étais arrivée avant l'aide-familiale attendue – ou se préoccupait de signer « ma feuille de présence »), une fois aussi pour une « contrôleuse » du travail des aide-familiales (comme Mr Bellens, sans doute parce que je suis souvent restée assise à bavarder avec lui, pendant que l'aide-familiale vaquait à ses occupations). Un jour qu'il était à la salle de bain avec Anne, moi-même dans le couloir, je l'ai entendu demander à Anne : « c'est qui cette dame ? » et Anne de répondre « elle vient voir comment améliorer encore notre travail ». Il me semble que cela ne l'a pas empêché de percevoir et d'apprécier mon écoute et mon attention à son expérience.
Vu ma façon de percevoir le contrôle de la fille sur la vie de son père, je ne me suis pas permis de lui restituer ma première analyse, comme il est arrivé chaque fois que ma position à l'égard d'un acteur était globalement critique. Même pendant le temps du suivi, je ne l'ai rappelée qu'une fois en dehors du premier entretien. Bien sûr, le fait qu'elle ait choisi la première fois de me recevoir chez elle (« quand je suis chez mon père, je m'occupe de lui, c'est déjà une journée très lourde ») diminuait pour moi l'intérêt d'un contact, mais sans doute est intervenue aussi ma difficulté à apprécier sa façon de prendre soin de son père.