Résumé
On observe deux aide-familiales accompagner les repas de Mr Plissart, sous des modalités assez différentes en dépit des mêmes contraintes organisationnelles.
Description
- Types d'acteurs : Aide familiale
- Type d'acte : Alimentation
- Thème(s) : Abus de pouvoir, Difficultés du geste alimentaire, Respect des préférences, sans proche cohabitant, Tension professionnel/personne aidée
- Concept(s) : Agentivité, Expérience, Gouvernante
- Lieu d'observation: Domicile
- Région d'observation: Bruxelles
- Pseudo: Mr Plissart
- Date d'observation: 2011-2015
- Numéro de page du livre : 153-58
- Auteur du récit : Natalie Rigaux
Contexte
Mr Plissart vit dans un pavillon de banlieue, en périphérie d'une petite ville du Brabant wallon. Dans son quartier s'alignent des bâtiments de même type, sans un commerce à l'horizon. Il vit seul avec son chien auquel il est très attaché : il ne veut jamais le laisser seul chez lui et le chien dort sur son lit. Ce chien va assez bien détériorer l'état de la maison : il a déchiré l'une ou l'autre tenture et fait parfois ses besoins dans la maison. L'odeur quand on y entre n'est donc pas toujours très fraîche.
Sa femme souffrant de maladie d'Alzheimer a été « placée » suite à une décision de sa fille unique, près du domicile de celle-ci.
Mr Plissart a 83 ans quand je le rencontre pour la première fois, en novembre 2011 et décèdera une semaine après son entrée en institution en décembre 2015. Aucun diagnostic n'a été posé mais selon les intervenants, on me dira qu'il souffre de « confusion », de « sénilité » voire, de « maladie d'Alzheimer ». Après plusieurs épisodes d'arnaques dont il a été victime de la part de colporteurs, puis de chutes de tension expliquées par une mauvaise prise de médicaments, des aide-familiales vont passer deux fois par jour, pour une aide à la toilette, à la prise de médicaments et pour faire le repas de midi. Une aide-ménagère vient une fois par quinzaine. Sa fille, qui habite à plus d'une heure de là, passe une fois tous les 15 jours. Mr Plissart, issu d'une famille ouvrière, a fait une grande carrière dans l'administration publique, dont il parle de façon répétitive avec beaucoup de fierté.
Contexte Méthodologique
Après un entretien avec sa fille (au domicile de celle-ci), je rencontrerai Mr Plissart à 10 reprises entre 2011 et 2015, à l'occasion de la venue d'aide-familiales. Lors de mes passages, je l'écouterai me raconter sa vie, je l'accompagnerai en promenade avec son chien et j'irai parfois faire quelques courses avec les aide-familiales.
Vignette
lara chez Mr Plissart, après un hiver où, me dit-elle, il a beaucoup maigri et durant lequel elle était en congé maladie :
« J'ai dû vraiment me battre avec lui pour qu'il se remette à manger. Parfois, je me suis vraiment sentie mal à faire du chantage : « bon, si vous ne mangez pas, j'appelle l'ambulance » ou « je le donne au chien » et comme il trouve ça dommage, il finit par manger. » Quand nous revenons des courses, arrive l'heure du repas…Mr Plissart : « je n'ai pas faim, il est trop tôt ». (il est alors midi). Clara, à mon intention : « Comme il disait toujours cela, on est venu plus tard, vers 14h. Alors il disait « j'ai mangé à midi ! ». Mr Plissart commence à manger. A un moment, en surveillant du regard Clara qui est occupée à remplir le cahier de communications, il donne un morceau de poulet au chien. Clara s'insurge. Après avoir mangé la moitié du poulet, il dit : « bon, ça, je réchaufferai ce soir. » Clara : « non, je sais que vous ne le ferez pas. Allez, ce n'est pas assez ! » Elle découpe la cuisse : « Vous mangez la viande et la compote ». Mr : « mais je n'aime pas trop ça, j'en mangeais souvent au boulot ». Clara : « mais vous m'avez dit ce matin que ça vous plaisait » Lui : « oui, mais ce n'est pas mon plat favori ». Pendant la préparation de l'assiette, elle, comme à un enfant « ça, vous mangez, ça, on donnera au chien ». Je ne sais plus où me mettre tant je ressens la violence faite à Mr. Dès qu'elle a le dos tourné, Mr me dit : « J'ai énormément de patience, mais quand ça dépasse les bornes, j'explose ». S'ensuit une histoire assez confuse ayant pour cadre sa vie professionnelle, mais vu ce qui vient de se passer, je ne peux que comprendre cette phrase comme un cri, étouffé vu sa dépendance. Il me dira à un autre moment, à mi-voix : « Moi, j'avais cuisiné quand ma femme était malade. J'aurais aimé continuer, je n'ai quand même plus rien à faire. Mais ma fille a voulu qu'elle vienne voir tous les jours si j'allais bien. »
A chaque repas de midi auquel j'assisterai avec Clara, j'observerai des conflits analogues, même lorsque Mr Plissart aura repris du poids. Notons que pour lui, l'heure du repas semble avoir aussi une dimension renvoyant à son statut social. Il m'expliquera ainsi, dans la foulée d'un de ces conflits :
« Au travail, les employés allaient manger avant, puis nous [les directeurs] à partir de 13h. »
Que se passe-t-il pour lui lorsque d'autres aide-familiales interviennent ? Celles-ci vont prendre certaines libertés avec les instructions que leur donne Clara, redonnant quelque latitude à Mr Plissart et la possibilité pour lui de vivre une expérience du soin plus gratifiante.
J'observe ainsi deux repas pris en présence de Marie, qui va devenir l'aide-familiale de référence – donc le contact d'Anne-Françoise – pendant l'absence pour maladie de Clara.
Lors de mon premier passage avec elle – prévu par l'OSD de 11h à 11h45 pour préparer et lui donner son repas de midi – Marie fait une première tentative pour donner le repas (et surtout, les médicaments qu'il doit prendre avec celui-ci) à 11h30… ce à quoi il s'oppose. A 11h45, sentant l'agitation de Marie qui doit partir et qui tient à lui voir prendre ses médicaments (ce qui est une exigence d'Anne-Françoise, se justifiant par l'importance des médicaments à prendre), il accepte, tout en regardant fixement l'horloge de la cuisine pour rappeler son mécontentement.
On se trouve ici face à une difficulté récurrente lorsqu'une OSD doit planifier le passage d'aide-familiales pour préparer et donner le repas : certains passages seront forcément un peu trop tôt – comme celui-ci – d'autres un peu trop tard, quelques bénéficiaires seulement ayant la chance de voir arriver l'aide-familiale au moment correspondant à leurs habitudes en la matière.
Lors du second repas donné par Marie auquel j'assiste, le repas va se passer très sereinement, Mr Plissart prenant grand plaisir à nous raconter sa vie tout en mangeant. Quand il a mangé les trois-quarts de son assiette, il dit qu'il a assez mangé, qu'il finira peut-être plus tard et Marie remet sans discuter son assiette au frigo. Elle me dit de sa voix off, se superposant à celle de Mr Plissart : « Parfois, il reprend effectivement. Sinon, on jette le lendemain. »
« J'ai dû vraiment me battre avec lui pour qu'il se remette à manger. Parfois, je me suis vraiment sentie mal à faire du chantage : « bon, si vous ne mangez pas, j'appelle l'ambulance » ou « je le donne au chien » et comme il trouve ça dommage, il finit par manger. » Quand nous revenons des courses, arrive l'heure du repas…Mr Plissart : « je n'ai pas faim, il est trop tôt ». (il est alors midi). Clara, à mon intention : « Comme il disait toujours cela, on est venu plus tard, vers 14h. Alors il disait « j'ai mangé à midi ! ». Mr Plissart commence à manger. A un moment, en surveillant du regard Clara qui est occupée à remplir le cahier de communications, il donne un morceau de poulet au chien. Clara s'insurge. Après avoir mangé la moitié du poulet, il dit : « bon, ça, je réchaufferai ce soir. » Clara : « non, je sais que vous ne le ferez pas. Allez, ce n'est pas assez ! » Elle découpe la cuisse : « Vous mangez la viande et la compote ». Mr : « mais je n'aime pas trop ça, j'en mangeais souvent au boulot ». Clara : « mais vous m'avez dit ce matin que ça vous plaisait » Lui : « oui, mais ce n'est pas mon plat favori ». Pendant la préparation de l'assiette, elle, comme à un enfant « ça, vous mangez, ça, on donnera au chien ». Je ne sais plus où me mettre tant je ressens la violence faite à Mr. Dès qu'elle a le dos tourné, Mr me dit : « J'ai énormément de patience, mais quand ça dépasse les bornes, j'explose ». S'ensuit une histoire assez confuse ayant pour cadre sa vie professionnelle, mais vu ce qui vient de se passer, je ne peux que comprendre cette phrase comme un cri, étouffé vu sa dépendance. Il me dira à un autre moment, à mi-voix : « Moi, j'avais cuisiné quand ma femme était malade. J'aurais aimé continuer, je n'ai quand même plus rien à faire. Mais ma fille a voulu qu'elle vienne voir tous les jours si j'allais bien. »
A chaque repas de midi auquel j'assisterai avec Clara, j'observerai des conflits analogues, même lorsque Mr Plissart aura repris du poids. Notons que pour lui, l'heure du repas semble avoir aussi une dimension renvoyant à son statut social. Il m'expliquera ainsi, dans la foulée d'un de ces conflits :
« Au travail, les employés allaient manger avant, puis nous [les directeurs] à partir de 13h. »
Que se passe-t-il pour lui lorsque d'autres aide-familiales interviennent ? Celles-ci vont prendre certaines libertés avec les instructions que leur donne Clara, redonnant quelque latitude à Mr Plissart et la possibilité pour lui de vivre une expérience du soin plus gratifiante.
J'observe ainsi deux repas pris en présence de Marie, qui va devenir l'aide-familiale de référence – donc le contact d'Anne-Françoise – pendant l'absence pour maladie de Clara.
Lors de mon premier passage avec elle – prévu par l'OSD de 11h à 11h45 pour préparer et lui donner son repas de midi – Marie fait une première tentative pour donner le repas (et surtout, les médicaments qu'il doit prendre avec celui-ci) à 11h30… ce à quoi il s'oppose. A 11h45, sentant l'agitation de Marie qui doit partir et qui tient à lui voir prendre ses médicaments (ce qui est une exigence d'Anne-Françoise, se justifiant par l'importance des médicaments à prendre), il accepte, tout en regardant fixement l'horloge de la cuisine pour rappeler son mécontentement.
On se trouve ici face à une difficulté récurrente lorsqu'une OSD doit planifier le passage d'aide-familiales pour préparer et donner le repas : certains passages seront forcément un peu trop tôt – comme celui-ci – d'autres un peu trop tard, quelques bénéficiaires seulement ayant la chance de voir arriver l'aide-familiale au moment correspondant à leurs habitudes en la matière.
Lors du second repas donné par Marie auquel j'assiste, le repas va se passer très sereinement, Mr Plissart prenant grand plaisir à nous raconter sa vie tout en mangeant. Quand il a mangé les trois-quarts de son assiette, il dit qu'il a assez mangé, qu'il finira peut-être plus tard et Marie remet sans discuter son assiette au frigo. Elle me dit de sa voix off, se superposant à celle de Mr Plissart : « Parfois, il reprend effectivement. Sinon, on jette le lendemain. »