- Types d'acteurs : Infirmier.ère, Psychologue
- Type d'acte : Groupes de parole
- Thème(s) : Racisme, Rapports de classe, Tension professionnel/personne aidée
- Concept(s) : Figures du respect, Imagination morale, Intersectionnalité, Récit, Ressource du collectif soignant
- Lieu d'observation: Domicile
- Région d'observation: Bruxelles
- Date d'observation: janvier-mars 2013
- Numéro de page du livre : undefined
- Auteur du récit : Natalie Rigaux
Isa, l'animatrice, propose à qui le souhaite d'amener une situation pour laquelle iel souhaite l'aide du groupe. Désiré, un infirmier d'origine congolaise prend la parole :
« Au début du mois, j'ai été chez une patiente: le summum de ce que j'ai vécu dans ma vie ! Une patiente très difficile, elle voit tout de façon négative. J'ai tenu une semaine. Tout le monde autour d'elle, les aides ménagères, les aide-familiales, c'est de la merde pour elle. Jamais je n'ai rencontré une personne comme ça ! »
Isa : « pourquoi tu veux en parler aujourd'hui ? »
Désiré : « Je n'ai pas eu l'occasion d'en parler jusqu'ici. Cela me soulage »
Isa : « pourquoi ça a été difficile ? »
Désiré : « J'ai fait le maximum pour l'aider : elle n'est jamais contente ! Tout ce qu'on fait est mal. On arrive : une litanie de reproches. Ce que je n'ai pas supporté, c'est qu'elle en arrive à m'insulter. La première fois, je lui ai dit : « pas une seconde fois ou je ne viens plus ». Quand elle a recommencé, je lui ai dit : « c'est fini ». [Je suppose qu'il s'agit d'insultes racistes mais Désiré ne le dit pas à ce moment-là. Il ne répétera à aucun moment les mots qui ont été proférés mais il dit à la fin de la séance : « J'ai déjà entendu : « je ne pensais pas qu'un Noir pouvait me soigner ». ça, je laisse passer, mais pas l'insulte.]
Isa : « qu'est-ce que tu attends de nous ? »
Désiré : « De pouvoir partager. Pas spécialement d'analyser. Cette femme se plaint d'être toute seule. Je lui ai dit : « mais le temps qu'on est là, vous n'en profitez pas »
Isa : « Quel est l'intérêt de cette femme de se comporter comme ça ? »
Une soignante : « prendre le pouvoir sur les gens »
Une autre : « ça me fait penser à un scénario de vie de l'analyse transactionnelle : « personne ne m'aime ! je suis toute seule » que certain·e·s répètent toute leur vie.
Isa : « comment sortir de l'enfermement ? Comment caractériser tes stratégies, Désiré ? »
Le groupe réfléchit : faire le maximum, maintenir le cadre « je fais mon travail d'infirmier », faire de l'humour (la patiente s'exclame « où est-ce que tu as eu ton diplôme ! » Désiré lui répond : « je ne suis jamais allé à l'école ! » et puis mettre fin à l'intervention.
Isa : « quelles autres stratégies seraient possible ? »
Une soignante : « je me tais, je ne montre pas mes sentiments »
Une autre : « j'essaye de construire un cocon avant d'entrer, une protection »
Désiré précise encore son histoire : « Le jour où je suis venu, il n'y avait eu personne avant moi. Elle était encore en pyjama. Chez elle, une toilette, c'est minimum 45 minutes ; le premier jour, cela m'a pris une heure ! »
Isa : « Désiré, c'est ton besoin de reconnaissance qui n'est pas rencontré, ton besoin de respect »
Richard enchaîne avec une histoire qui lui est arrivée ce matin où il ne s'est pas senti respecté : un couple congolais dont le mari a fait un AVC et dont il doit faire la toilette. Il a dû attendre une demi-heure avant que le patient veuille bien se lever. Il fait ses besoins dans un pot et c'est lui qui doit le vider. Il lave son patient dans la douche et il doit ensuite nettoyer la douche.
Isa : la difficulté, c'est que tout le monde a besoin de respect mais n'attache pas la même importance à différentes choses. Pour vous, ça passe par quoi, le respect du patient ?
Différentes idées fusent : être salué, regardé à l'arrivée, un ton utilisé pour leur parler, que les patients soient prêts pour le soin à l'arrivée du soignant, …
On rediscute de la question du pot de chambre que la femme du patient ne vide pas, laissant le soignant s'en occuper.
Isa : « Selon les milieux, les couples, il y a de grandes différences. Certaines femmes veulent pouvoir rester dans un rôle d'épouse ».
A la fin de la séance, Isa demande à chacun de dire ce que la séance lui a apporté, ou pas. Elle donne d'abord la parole à Désiré :
« La première chose, c'est un soulagement, de la compréhension. Quand on est seul, on est comme devant un tribunal, avec la culpabilité, on se dit : « comme infirmier, je n'ai pas bien fait ». C'est pourquoi avoir un feed-back des autres, c'est important. C'est comme une thérapie »
Richard enchaîne : « Moi, vous m'avez appris quelque chose, qu'on n'a pas les mêmes attentes en termes de respect. Cela me rassure un peu. Je le prenais contre moi, de devoir jeter les urines.
Après les interventions des autre participant·e·s, Richard reprend la parole : «C'est comme une réunion des infirmiers anonymes ». Le groupe rit.