Résumé
Pendant un temps de toilette, Mme Cardinael récrimine à propos de la façon dont l'infirmière s'adresse à elle (en utilisant son prénom), sans que cette intervention ne soit prise au sérieux par la professionnelle. Cette scène contraste avec celle qui a été relatée chez Mme Levesque (p.60 ) pendant laquelle sa voix a été prise en compte.
Description
- Types d'acteurs : Infirmier.ère
- Type d'acte : Toilette
- Thème(s) : Abus de pouvoir, Manière de voir et de vivre avec la personne
- Concept(s) : Rites d’interaction
- Lieu d'observation: Domicile
- Région d'observation: Bruxelles
- Pseudo: Mme Cardinael
- Date d'observation: 15/09/2012
- Numéro de page du livre : 59
- Auteur du récit : Natalie Rigaux
Contexte
Quand je les rencontre pour la première fois en septembre 2011, Mme Cardinael a 73 ans, monsieur 71 : les premiers signes de la maladie, repérés par une belle-fille infirmière remontent à 2004, le diagnostic ayant finalement été posé en 2006. Madame a longtemps refusé de consulter un·e neurologue. J'apprendrai par la fille de madame, après deux ans de rencontres, que le diagnostic posé a été une démence à corps de Loewi. Si je ne l'ai appris que si tard, c'est que Mr Cardinael, que je vois toujours en présence de sa femme, utilise systématiquement des détours pour parler de la maladie qui l'affecte vu qu'elle n'en a jamais été avertie. Il le fera jusqu'aux derniers jours de sa vie, même quand elle dort.
Mme Cardinael passe la journée au fauteuil, ne pouvant plus se déplacer. Elle n'a plus accès que rarement à une parole compréhensible mais se lance fréquemment dans de longs soliloques jargonnant.
Mr Cardinael souffre de névralgies chroniques qui sont apparues bien avant les problèmes de son épouse et dont le traitement implique des interventions chirurgicales annuelles. Il a fait toute sa carrière dans la presse, commençant comme employé, finissant à la direction des ventes. Madame a été secrétaire dans le secteur des assurances. Elle a arrêté de travailler à la naissance de leur second enfant (une fille, l'aîné étant un garçon).
A part sa fille, son frère et rarement son fils, Mr Cardinael n'a pas de contact avec la famille et les amis. Mme Cardinael n'a de relation qu'avec sa fille et son mari, en plus de ses contacts avec les professionnel·le·s. Son fils ne sait comment communiquer avec elle lors de ses rares passages, selon ce que m'en dit son père.
En septembre 2011, Mr Cardinael est aidé dans les soins à donner à son épouse par des infirmier·ère·s (matin et soir), une aide-ménagère (une fois par semaine) et une kiné. A partir de 2012, des aides familiales viendront tous les midis donner à manger à madame, vu la difficulté qu'il y a à le faire. La fille de Mr et Mme Cardinael est très présente : pendant dix mois tous les jours (pour alimenter sa mère le midi), ensuite minimum tous les WE. Elle est un appui important pour son père et une actrice majeure du soin reçu par sa mère.
Contexte Méthodologique
Mes sources sont huit passages chez les Cardinael qui se sont étalés de septembre 2011 à janvier 2014 (madame décédant début février de la même année). J'ai été présente lors de trois toilettes infirmières, de deux passages d'une kiné, de trois repas donnés par des aides familiales et d'un repas donné par la fille des Cardinael. Ces passages ont été souvent l'occasion de longues conversations avec Mr Cardinael. J'ai réalisé un entretien avec Greta, l'infirmière de référence de Mme Cardinael et participé à une réunion de l'équipe infirmière.
Vignette
Greta, l'infirmière de référence, vouvoie monsieur, elle tutoie madame et l'appelle de son prénom, ce qui va donner lieu à la scène suivante. À un moment, alors que Greta vient de l'appeler par son prénom, madame répond : « Ne m'appelez pas Mireille ! ». Ce n'est pas une phrase aussi claire que cela mais c'est ce que je comprends et Greta aussi puisqu'elle enclenche, d'un ton gentiment moqueur (comme on le ferait avec un enfant aux prétentions excessives, en exagérant la déférence) : « Excusez-moi ! Je dois vous appeler « Mme Cardinael » ? ». Celle-ci répond : « Oui ». Par la suite, Greta recommence à appeler madame « Mireille » et l'une ou l'autre fois, elle se reprend en faisant un clin d'œil à monsieur.
La récrimination de Mme Cardinael, ajustée pourtant à l'ordre de l'interaction, est prise avec ironie.
Lorsque je la revois quelques temps après, Greta continue à appeler madame par son prénom sans que celle-ci ne le relève plus.