- Types d'acteurs : Garde à domicile, Proche
- Type d'acte : Soins intégrés
- Thème(s) : Marché non régulé des gardes
- Concept(s) : Quatre temps du "care", Système d'agentivité
- Lieu d'observation: Domicile
- Région d'observation: Bruxelles
- Pseudo: Mme Alvaro
- Date d'observation: de septembre 2011 à septembre 2012
- Numéro de page du livre : 151
- Auteur du récit : Natalie Rigaux
Chez les Gianni, la façon dont s'organise l'intervention de gardes issues de sociétés privées (dans le contexte bruxellois toujours) présente des similitudes et des contrastes intéressants à relever avec ce que l'on vient d'observer chez Mme Alvaro.
C'est essentiellement la fille des Gianni – leur fils étant peu impliqué dans le soin – qui va imposer à sa mère la présence de professionnel·le·s. Comme le fils des Paquot, la fille des Gianni a connu une ascension sociale, avec un diplôme d'études supérieures dont madame est très fière, qui lui donne un ascendant sur celle-ci mais aussi les ressources pour l'aider. En l'occurrence, elle organise le passage d'infirmières pour la toilette, d'un kiné, puis au fur et à mesure de l'épuisement de madame, de gardes jusqu'à 12h/24. Monsieur ayant terminé sa vie professionnelle comme huissier dans une institution internationale, il bénéficie d'une assurance lui donnant droit au remboursement des frais de garde (environ 3000 euros en l'occurrence). Quand bien même des gardes sont présentes toute la journée, Mme Gianni ne leur délègue pas la responsabilité du soin : elles sont ses bras et ses jambes (vu la dégradation de sa mobilité), elle-même restant à la tête des opérations. Elle les aide lorsque son mari refuse certaines choses, finalise le soin si elle considère qu'il n'est pas abouti et veille en permanence, sur lui et sur la manière dont les gardes s'en occupent, étant attentive à ce que les injonctions des professionnel·le·s les plus qualifié·e·s soient exécutées.
Pour les gardes, care givers principales, la veille constante de Mme Gianni couplée à l'absence de légitimité professionnelle et d'appui institutionnel limitent drastiquement leurs possibilités de contribuer à la définition des besoins du vieil homme et par là, leur autonomie. Pour deux des trois gardes que j'ai rencontrées, leur intervention chez Mr Gianni est leur première expérience en tant que garde et toutes deux n'ont aucune formation professionnelle (l'une fait des études d'assistante sociale, l'autre est une jeune maman sans diplôme). En contrepartie, il·elle·s reçoivent de Mme Gianni une reconnaissance et un suivi bienveillant de leur travail (quand tout se passe bien selon madame, ce qui fut le cas pendant mon observation) dont ne bénéficiaient pas les gardes soumises au système organisationnellement très malsain des gardes-pivot de Mme Alvaro.
En dépit de ces différences, comme chez Mme Alvaro, la fréquence des changements de sociétés privées est tout aussi élevée (trois sociétés de garde différentes en trois années), suite à la fois aux insatisfactions de Mme Gianni et de sa fille vu la faible qualité de l'aide offerte (elles se plaignent de l'infantilisation, du tutoiement, de la non-attention à Mr Gianni observées chez des gardes précédentes) mais aussi au caractère temporaire pour les gardes de cet emploi qu'il·elle·s ne considèrent pas comme une profession, ce qui est de fait le cas à Bruxelles. Comme chez Mme Alvaro aussi, les sociétés de gardes ne semblent pas intervenir dans le taking care of.
Quand bien même les proches sont présent·e·s et proposent un care management moins hasardeux que celui de Bernadette, le système de gardes non régulé observé chez les Gianni montre une instabilité que l'on avait observée chez Mme Alvaro et qui est problématique pour tou·te·s les protagonistes du soin. Les gardes y sont là aussi totalement dépendant·e·s de l'orientation du soin donnée par les proches, sans tiers institutionnel ni formation pour les aider à défendre une part d'autonomie professionnelle.