12. Réunion de coordination : quelle place pour les protagonistes les plus fragiles?   (Chapitre 7)  Imprimer
Résumé
On suit une réunion de coordination chez Mr Bellens et sa compagne (7ème chapitre, pp.158-164) où iels sont présent·e·s sans parvenir à trouver leur place. Francesca, l'aide-familiale de référence y trouve en revanche l'occasion de faire reconnaître son rôle, pourtant peu valorisé au quotidien par les autres intervenant·e·s. A la page 162 du livre, on aura un autre exemple de réunion de coordination dans la même situation où Mr Bellens ne pourra pas se faire entendre, sa compagne étant alors hospitalisée.
Description
  • Types d'acteurs : Aide familiale, Assistant·e social·e, Coordinateur.rice
  • Type d'acte : Réunion de coordination
  • Thème(s) : Intérêt financier, mauvaises relations personne aidée/proche, Ménage recomposé, Respect des préférences, sans proche cohabitant
  • Concept(s) : Agentivité, Disposition genrée, Division genrée du travail de care
  • Lieu d'observation: Domicile
  • Région d'observation: Bruxelles
  • Pseudo: Mr Bellens
  • Date d'observation: mai 2012
  • Numéro de page du livre : 162
  • Auteur du récit : Natalie Rigaux
Contexte
Mr Bellens est veuf depuis 13 ans et a rencontré très vite aux activités du troisième âge organisées par la commune celle qui est devenue sa compagne, Mme Amenez, veuve elle aussi. Il n'a pas d'enfants, sa seule famille étant ses deux-belles sœurs. Chez Mr Bellens, aucun diagnostic de démence n'a été établi. La manière de le caractériser variera selon mes interlocuteur·trice·s : l'assistante sociale et l'infirmière me parleront d' « artériosclérose » à son propos (en disant aussi des termes comme « confusion » ou « désorientation », mais jamais « démence »), le médecin de « problèmes vasculaires », la belle-famille de monsieur considérera que l'âge et des traits de personnalité expliquent le comportement de Mr Bellens. Suite à différents problèmes de santé de Mme Amenez, la famille de celle-ci décide de l'institutionnaliser dans sa région d'origine, loin de Bruxelles où vit Mr Bellens. C'est suite à ce départ que Mme Jacques, la belle-sœur de Mr Bellens qui s'en occupe, introduit une garde, Martine, dont il va être question. Par ailleurs, une infirmière (dont l'une d'elle s'auto-intronisera gouvernante) vient tous les matins faire la toilette de Mr Bellens, des aides familiales, deux fois par semaine et une aide-ménagère tous les 15 jours.
Contexte Méthodologique
Mes sources sont les comptes-rendus de 9 rencontres étalées sur deux années, de septembre 2011 à novembre 2013 et ayant pour objet : la première visite de contact ; 5 prestations d'aides familiales (avec une fois la présence en parallèle de l'infirmière, une fois de l'aide-ménagère) ; une réunion de coordination ; une rencontre avec la belle-sœur de Mr Bellens (en présence de la garde) ; et enfin une dernière rencontre avec monsieur dans la MR où il a été institutionnalisé à partir du mois d'octobre 2013. J'ai eu par ailleurs un entretien avec l'aide familiale de référence, l'infirmière de référence, la cheffe de l'équipe des aides familiales et le coordinateur. J'ai participé à une réunion de l'équipe des aides familiales.
Vignette
A partir de la fin de l'année 2011, Francesca [l'aide-familiale de référence] observe que Mme Anemez est fort fatiguée et suggère à sa responsable d'équipe un accroissement de l'aide. Celle-ci alerte le coordinateur qui organise une réunion chez Mr Bellens avec celui-ci et sa compagne, leur famille respective (celle de Mr ne sera pas présente), le médecin, Francesca et la responsable des aide-familiales. Le coordinateur entame la réunion en interpellant Mr Bellens :
« Vous avez reçu la convocation ? Vous avez compris le but de la réunion » ? Mr : « Attention, je ne suis plus en activité. Avant, j'avais 8 ouvriers. » (Il ne semble pas comprendre/entendre la question). Après un moment de clarification, il dit ne pas avoir reçu la convocation (qui est pourtant affichée à la cuisine, rappelle Francesca). (…). Le coordinateur : « ce que j'ai entendu, c'est que Mme Anemez est fort fatiguée. » Francesca : « elle réchauffe les repas, fait la vaisselle, un peu de nettoyage, … » Mr : « Si elle est fatiguée, c'est à cause de l'âge. » Francesca : « On pourrait dire qu'elle est fatiguée par tout ce qu'elle fait, ou seulement du fait de son âge. La question, c'est de savoir comment on pourrait l'aider. » Suit une proposition du service d'augmenter le nombre de passages des aide-familiales de 2 à 4 fois par semaine pour soutenir Mme (en faisant sa toilette et en aidant au rangement). La question suivante est de savoir qui va payer pour ces deux passages supplémentaires. La belle-fille de Mme intervient : « j'ai vu le beau-fils de Mr qui dit qu'il est prêt à payer. » Le coordinateur réexplique à Mr de quoi il est question : « Vous êtes prêt à prendre en charge les frais pour Mme ? » Mr : « Mais ce sont ses enfants qui doivent faire ça. » Après une discussion assez confuse, le médecin intervient : « Mais il ne faut pas dire : « c'est pour Mme », mais « c'est pour le ménage. » Francesca abonde dans ce sens en revenant vers Mr : « Vous êtes d'accord de payer si c'est une aide supplémentaire pour le ménage ? » Mr ne dit pas non. Mme Anemez semble douter de cette parole peu claire : « il faut marquer ça noir sur blanc ! ». A la fin de la réunion, Mr demande de recevoir le texte de ce qui a été convenu. Le PV actera son accord de payer l'augmentation de l'aide.
Durant la première moitié de la réunion, Mme Anemez manifeste beaucoup d'anxiété : elle va et vient de la salle à manger (où se tient la réunion) au salon et il faudra la présence apaisante du médecin traitant près d'elle pour la ramener progressivement à la table de réunion. Elle intervient à un moment, de façon très agitée : « on ne va pas nous enfermer tout de même ?! ». Sa belle-fille explique alors que Mme a longuement appelé son fils la veille au soir, étant persuadée que le but de la réunion était le placement. Lorsqu'elle percevra que l'objectif est d'accroître l'aide reçue de façon à permettre au contraire le maintien à domicile, elle s'apaisera.
Quand je réinterrogerai le coordinateur sur la justice de l'accord intervenu, il me dira savoir de source sûre que les revenus de Mr sont importants et que comme ils vivent en couple, il est normal qu'il intervienne. Il ajoutera néanmoins : « c'est le médecin qui a sauvé la situation en disant qu'il s'agissait d'aider le ménage. » Commençons par revenir sur ce point : il est sûr que pour la part de l'aide qui reprend le ménage que Mme faisait jusque-là, il serait injuste de la lui faire payer à elle seule une fois qu'elle ne peut plus l'assurer. Ce serait renforcer la distribution genrée du travail et ses injustices en considérant que les femmes ont à s'acquitter des tâches ménagères et à payer les professionnelles qui les remplacent lorsqu'elles ne sont plus en état de les accomplir. Reste la part de l'augmentation de l'aide qui consiste à faire la toilette de Mme Anemez deux fois par semaine. C'est parce que la famille de Mme cale et que la famille de Mr semble d'accord de payer que le service opte pour cette solution, sans véritablement prendre en compte le refus de Mr, se transformant ensuite en accord donné du bout des lèvres. Soucieux d'améliorer la qualité de vie de Mr Bellens et de sa compagne, considérant que les moyens financiers de Mr sont plus importants que ceux de Mme, le service ne se préoccupe pas d'un accord de Mr, tant que sa famille n'y fait pas obstruction. Ultérieurement, la belle-sœur de Mr Bellens me dira : « tout le temps qu'elle a vécu là, c'est lui qui a tout payé ! Ses enfants [à elle] pouvaient mettre toute sa pension dans leur poche. »
Alors qu'au quotidien, l'expérience de Francesca est plutôt difficile, vu la non-reconnaissance de son métier tant par l'infirmière que par la belle-sœur de Mr Bellens, sa position va être nettement meilleure lors de la réunion de coordination relatée plus haut. C'est suite à une demande de sa part qu'a relayée sa cheffe d'équipe que la réunion est organisée : son souci de clarifier qui sont les bénéficiaires de l'aide apportée (non seulement Mr comme c'est officiellement le cas mais de fait également Mme) et d'augmenter l'aide (en pensant en particulier aux besoins de Mme) vont être repris par le coordinateur comme étant l'objet de la réunion. Pendant la réunion à laquelle elle assiste , elle trouve pleinement sa place, non seulement pour avoir débarrassé la table où nous nous installons et offert à boire, mais en intervenant de façon significative : c'est elle qui relance l'idée amenée par le médecin que l'aide supplémentaire apportée doit être pensée comme allant au couple, non à Mme seulement, elle aussi qui pose la question du contenu des tâches à effectuer, là où le coordinateur s'en tient à proposer des fréquences de passage. Ses interventions vont faire le poids et réorienter les débats. Plus que l'assistante sociale (sa cheffe d'équipe, qui est toute jeune), son expérience va faire la différence et être reconnue par les personnes participant à la réunion. Lorsque Francesca part en congé maladie, l'assistante sociale me confie ne plus être trop au courant de ce qui se passe chez Bellens, Francesca n'étant plus là pour s‘en préoccuper et l'en informer, ce qui est une façon de reconnaître l'engagement de celle-ci dans la situation et l'intérêt qu'avait son apport.