Résumé
Dans sa quête d'activités à partager avec sa femme, Mr Levesque se procure une chaise roulante, dont l'usage va se révéler initialement difficile, les gardes ne voulant pas sortir seules avec Mme. Après une première sortie accompagnée de la psychologue, les sorties avec la chaise roulante deviennent un bon moment pour le couple.
Description
- Types d'acteurs : Garde à domicile
- Type d'acte : Activité
- Thème(s) : Accès à l'espace public, Tension professionnel/proche
- Concept(s) : Figures du respect
- Lieu d'observation: Domicile
- Région d'observation: Bruxelles
- Pseudo: Mme Levesque
- Date d'observation: avril 2012/octobre 2012
- Numéro de page du livre : 60
- Auteur du récit : Natalie Rigaux
Contexte
Les Levesque vivent dans une tour, à la périphérie d'une petite ville wallonne, entre quelques grandes surfaces et des champs. Mr et Mme Levesque ont été enseignant·e·s, monsieur terminant sa carrière comme directeur d'une école. Par comparaison avec les photos qui s'affichent sur les murs de leur salon, Mme Levesque est profondément transformée par la maladie : alors qu'elle était très arrangée, maquillée, un peu ronde, les cheveux noirs permanentés, elle déambule aujourd'hui pieds nus, en chemise de nuit, ses cheveux longs non peignés, Mr ne parvenant plus à la laver et l'habiller. Pour l'un et l'autre, il s'agit d'un deuxième mariage, avec chacun un enfant de l'union précédente avec lesquels les contacts sont devenus rares. Les amis ne viennent plus à la maison. A la création d'un Café Alzheimer dans la région, Mr et Mme Levesque y sont allés ensemble pendant un an environ ; maintenant monsieur y va seul, la déambulation et l'agressivité de son épouse lors des séances posant problème. Quand je les rencontre en octobre 2011, Mme Levesque a 70 ans, Mr Levesque 67. Les premiers symptômes sont apparus en 2004, peu de temps après le passage de madame à la retraite. Lors de la dernière visite chez le neurologue, elle avait 3/30 au MMS .
A partir de janvier 2012, des gardes interviennent deux fois par semaine, les infirmièr·e·s, deux fois par jour et une psychologue par ailleurs musicothérapeute (seul terme que Mr Levesque utilisera pour la désigner) une fois par quinzaine dans le cadre d'un projet pilote soutenu par l'assurance maladie-invalidité. Très affaiblie, Mme Levesque ne peut plus marcher mais semble s'être apaisée. Elle décède chez elle à la fin de 2012.
Contexte Méthodologique
J'ai mené un entretien avec Mr et Mme Levesque, puis deux avec monsieur après le décès de son épouse, et des temps d'observation au domicile lors de trois passages de garde et d'une toilette infirmière. J'ai conduit un entretien avec l'infirmière et l'aide-ménagère et participé à trois réunions de professionnelles concernées par la situation (les gardes et les aide-ménagères), enfin à une réunion du « café Alzheimer » fréquenté par le couple, ensuite par monsieur seulement. L'ensemble s'est déroulé sur un peu plus d'une année, de la première rencontre avec le couple (en octobre 2011) aux deux rendez-vous avec Mr Levesque (en décembre 2012).
Vignette
Mr Levesque m'explique sa quête d'activités communes : « Les après-midis sont un peu difficiles. J'aimerais jouer avec elle. J'ai acheté des jeux en bois, de très beaux jeux, comme quasi décoratifs. On a essayé d'improviser des règles ; cela ne marchait pas. J'ai acheté de la plasticine : cela a été une catastrophe, elle en envoyait partout. J'ai demandé conseil à l'infirmière qui a téléphoné à une ergo qu'elle connaissait. En entendant où en était ma femme, elle a dit qu'il n'y avait plus rien à faire sauf à travailler sur l'auditif, le tactile. Alors je chante, ça la calme. J'ai aussi obtenu une chaise roulante : maintenant qu'elle est habillée, aux beaux jours, on sortira. » [Avril 2012].
L'usage effectif de la chaise roulante ne va pas se faire sans peine, comme Moïra, une garde, me l'explique : « Monsieur nous avait demandé d'emmener madame se promener dans la chaise roulante qu'il avait acquise. En réunion, les gardes ont dit que c'était une trop grande responsabilité de sortir seule avec madame. Après discussion en équipe, elles ont dit : « D'accord si monsieur vient avec nous ». Quand on a dit cela à monsieur, il a rangé la chaise et il n'en a plus été question. » J'interroge Moïra pour mieux comprendre le refus des gardes (si elles craignaient la chute, elles pouvaient l'attacher avec une ceinture de sécurité le temps de la promenade ? quel autre risque y a-t-il ?) : « Je me demande si elles n'étaient pas gênées de sortir avec une femme aussi maigre, qui a une telle allure. Moi, j'y serais bien allée mais je ne voulais pas me désolidariser de l'équipe. Ceci dit, je ne comprends pas le refus de monsieur qu'on y aille ensemble. »
Ce refus tient sans doute au fait que pour Mr Levesque, la présence des gardes a pour but de lui donner accès à de rares moments de sorties pour lui (durant la seconde période, deux demi-jours par semaine) qu'il n'entend pas utiliser (perdre de ce point de vue) pour sortir avec elles et son épouse.
La chaise roulante va finalement pouvoir être utilisée lors d'un passage de la musicothérapeute qui accompagnera le couple pour une première sortie. Lors d'un coup de fil au mois d'août, il m'en parlera comme d'un des grands moments de l'été, d'autant qu'ayant vu que c'était possible, il s'est depuis risqué à sortir seul avec elle. C'est tout réjoui qu'il me raconte leur dernière balade à l'occasion d'un de mes passages avec une garde (octobre 2012) : « Ce dimanche, comme il faisait magnifique, on est sortis avec la chaise roulante. Peut-être que ça été moins important pour le moment que pour l'éveil que cela a permis. A un moment, elle m'a dit : « Tu m'émeus. » Je crois que c'était moins une réaction à ce que je venais de dire qu'une expression de sa reconnaissance. »